Jacques Rabemananjara

ANTSA



Extrait 1

Ile !
Ile aux syllabes de flammes !
Jamais ton nom
Ne fut plus cher à mon âme !
Ile,
Ne fut plus doux à mon cœur !
Ile aux syllabes de flamme,
Madagascar !


Quelle résonnance !
Les mots
fondent dans ma bouche :
Le miel des claires saisons
Dans le mystère de tes sylves,
Madagascar !
…

ANTSA



Extrait 3

Qu’importent le hululement des chouettes
le vol rasant et bas
des hiboux apeurés sous le faîtage
de la maison incendiée !oh, les renards,
qu’ils lèchent
leur peau puante du sang des poussins, du sang auréolé
    des flamants-roses !
Nous autres, les hallucinés de l’azur,
nous scrutons éperdument tout l’infini de bleu de la nue,
Madagascar !

ANTSA



Extrait 2

Je mords la chair vierge et rouge
Avec l’âpre ferveur
Du mourant aux dents de lumière
Madagascar !

Un viatique d’innocence
dans mes entrailles d’affamé,
Je m’allongerai sur ton sein avec la fouge
du plus ardent de tes amants,
du plus fidèle,
Madagascar !
…

Bleu, si bleu cet oeil du ciel ,
derrière la grille !
Frais, si frais ces cris d'enfant
dans la pelouse
La vie en fleurs entre mes cils.

L'azur entier dans mes paupières
L'innocence entre les plis de l'âme

12 juin 1947, prison de Tananarive.

Je te reconnais entre cent, entre deux,
Je te reconnais entre mille à ton clin de cil prémonitoire

Ton silence retentira jusqu'au sommet du pic abrupt et vertigineux de l'univers !
L'écho de ton souffle étouffé résonnera jusqu'à la ronde des étoiles
se poursuivant dans les champs bleus de l'infini
et j'entonnerai sans répit le chant rauque de ta souffrance !

Terre sainte de mes aïeux !
Qu'a-t-on fait de ton nom, Madagascar,
autrefois haut symbole de l'aigle au vol royal,
déployant dans l'azur ses ailes aussi libres
que l'air épris jalousement de l'étendue du ciel,
ses grandes ailes libres jouant le jeu du vent,
du vent, maître absolu de ses ébats comme de sa voltige et de son tournoiement,
du vent, lutin cosmique
lancé sur le parcours de l'esplanade des planètes !

Rites millénaires



TOURMENT
extrait 3

Un caillou jeté dans la nuit
trouble les étangs infinis.

Un scintillement de rosée
m’a torturé de ton désir,
O puits scellé du Paradis.


Le marbre nu de la margelle
saigne à l’approche de midi.
Et tente mes lèvres torrides
le secret des eaux souterraines !
…

Rites millénaires



TOURMENT
extrait 2

Mais qu’étions-nous, mais qu’étions-nous,
Sinon le tourment de nous-mêmes !

Quelle étape au bout de nos courses ?
Elle nous brûlait jusqu’aux os,
la soif des dieux et des présages ;

À peine aux cimes des roseaux
Un scintillement de rosée.
Dans l’air à peine un jeu d’oiseau
pour t’animer, ô paysage !
Une mer, un mur sur nos pas…



                    Pourtant,
Nulle mesure à nos élans.
Nulle frontière à l’aventure.
Qui donc a délié nos jours de leurs péchés ?

Un vent berce les feuilles mortes
dans le silence des allées.
L’Amour fonce.
Une trombe de feu ravit les âmes nues.
Une eau brille, lustrale, aux fentes des rochers.

Qui donc, qui donc a délié
Nos jours mortels de leurs pêchés !
Et quelle gorge inapaisée
rêve ainsi d’éternelles sources !
…

Rites millénaires



TOURMENT
extrait 4

Oh ! quelle gorge inapaisée
rêve de sources impossibles !

Tout est soudain éternité :
La seconde comme le mot,
Le souffle ainsi que le silence.

Parmi la ronde des élus, deux bras d’ivoire ont clos la nue.
Deux bras d’ivoire ont apaisé le tumulte de l’horizon.
Et nous a pris dans son filet comme poissons dans une nasse La
      pure étreinte de l’Été…

Mais qu’étions-nous, mais qu’étions-nous, mais qu’étions-nous
      avant cette heure ? …

Rites millénaires



TOURMENT
extrait 1

Mais qu’étions-nous avant cette heure
Et qu’était le monde lui-même ?
Double néant sur le chaos.
Grains de poussière sur la route.

En vain, nos pas ont sur le sable
écrit l’image de l’emblème.
Toutes les bêtes du désert
ont vu deux ombres marcher.

Deux ombres marcher jour et nuit
sur la blancheur de l’univers.
Jour et nuit marcher, sans relâche,
à la recherche de nous-mêmes.
…