Écrire la biographie de Poussin tient de la gageure (…) La vie glorieuse de Poussin offre tout juste deux ou trois péripéties dignes d’être retenues par l’histoire. Or l’homme devait avoir cette présence sévère devant laquelle s’évanouissent l’anecdote, le récit malicieux, la calomnie savoureuse. Beaucoup de gens le connurent qui avaient bon bec et bonne plume : la plupart se sont tus, et ne nous ont rien transmis qui vienne suppléer à cette absence d’événements, sinon quelques traits confiés par lui-même à ses intimes, et de peu de relief.
Mais n’est-ce pas justement une raison pour écrire sur Poussin ? Les passions mouvementées, les randonnées lointaines, les conduites héroïques donnent à une biographie l’attrait du roman (…) mais il est plus rare, et somme toute plus important (on l’apprend avec l’âge), de vivre intensément un simple instant du monde que de se livrer passivement aux caprices orageux de la fortune. La leçon essentielle d’une existence est peut-être moins dans le pittoresque de ses péripéties que dans la richesse de ses choix. Et c’est ici qu’apparaît le privilège de l’artiste.
« Vie de Nicolas Poussin », 1988