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Citation de Henri-l-oiseleur


Shakespeare est donc né dans une Angleterre suspendue entre deux mondes. Certes, les Elisabéthains n'eurent pas à subir les sanglantes guerres religieuses qui déchirèrent une bonne partie du continent, mais les Réformes anglaises provoquèrent, entre autres choses, le dépouillement des autels, [la suppression] des peintures, cérémonies, ornements, rituels sacramentels, fêtes très aimées. En théorie du moins, cela avait un sens, puisque les réformateurs cherchaient à purifier une Eglise qu'ils jugeaient encombrée d'idolâtrie ; mais en pratique cela créait une déchirure dans le tissu de la vie quotidienne. Les rythmes saisonniers traditionnels étaient rompus, l'équilibre séculaire entre jours ouvrés et jours chômés, détruit. Les efforts des réformateurs pour se débarrasser des rituels distrayants du culte catholique créèrent une espèce de privation sensorielle, car le zèle réformateur avait négligé l'amour du peuple pour les spectacles et les sons des anciennes célébrations communautaires. Il apparut bientôt aux autorités Tudor que la Réforme avait créé un vide dangereux. Le Livre des Homélies, ouvrage officiel d'orientation protestante, mentionne cela dans l'homélie "Sur l'endroit et le moment de la prière" : on y lit un dialogue imaginaire entre deux dévotes perturbées par les récents changements. "Hélas, ma chère, dit l'une à l'autre, que ferons-nous maintenant à l'église, puisque tous les saints sont enlevés, puisqu'on n'y voit plus les beaux spectacles d'antan, puisque nous ne pouvons plus entendre comme avant les flûtes, les chants, les psalmodies et le son des orgues ? "

Dans un tel contexte, de nouvelles formes culturelles (surtout celles qui offraient de "beaux spectacles") prospérèrent, surtout le théâtre public. Rétrospectivement, il paraît assez naturel que la scène satisfasse un besoin rempli auparavant par le rituel catholique, puisque le théâtre anglais émergea des pièces liturgiques des XII° et XIII°s, et pendant les trois siècles suivants occupés par des Mystères, des Miracles et des Moralités, il continua d'être imprégné profondément de rituel et de thèmes religieux. Dans la mesure où la scène élisabéthaine canalisa nombre d'énergies qui relevaient jusque-là de l'Eglise, on comprend pourquoi les réformateurs, après s'être servis du théâtre pour diffuser leurs idées, finirent par se retourner contre lui.
p. 171-172. .
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