Je n'arrive pas à décider de ce que je vais faire.
Avant, je passais beaucoup de temps à attendre. Comme toutes les femmes, les femmes ont tendance à penser que tout ira mieux si elles attendent encore.
par exemple, ce sera mieux quand
- je me séparerai de ma mère
- quand je vivrai avec l'homme-que-j'aime
- quand je me séparerai de l'homme-que-j'aime
- quand ma mère m'aimera davantage
- quand n'importe qui m'aimera davantage
- quand j'aurai terminé mon régime/acheté de nouveaux vêtements/fait couper mes cheveux/acheté des produits de maquillage/appris à être plus gentille/plus sexy/plus tolérante/je serai devenue une autre
Le problème, c'est qu'on passe parfois tellement de temps à fantasmer sur l'avenir qu'on ne se rend pas compte de ce qui se passe sous son nez, c'est-à-dire du présent. Du moment présent. Ce qui passe pour être maintenant.
Le dimanche matin, je fais beaucoup de listes.
Je reste au lit parce qu'il y fait plus chaud. Sur les couvertures, j'accumule livres, magazines et bouts de papier. Je bois du thé jusqu'à être gonflée comme une outre. Puis vient le moment de me lever pour les journaux du dimanche. Je peux passer pas mal de temps à découper toutes sortes de bricoles à envoyer par la poste. A la radio j'écoute The Archers, mon feuilleton, et des émissions comme Pick of the Week, Desert Island Dises. Je prépare encore du thé. Je jette les journaux de la semaine, les déchets de mes découpages de la veille au soir, puis j'emporte mes détritus à la cuisine.
Le dimanche, je fais des gâteaux.
Le temps ne guérit pas. J'ai une bonne mémoire. Aiguisée comme une lame de rasoir.
A la sortie du centre commercial, un agent de sécurité m'ouvre la porte d'une main gantée de cuir et m'offre un bonbon. Je l'accepte avec un sourire. Au coin de la rue, je le jette dans une poubelle en plastique en forme de lapin.
Bobby le lapin vous recommande de garder votre ville propre.
Le téléphone est un instrument d'intrusion dans l'ordre des choses. C'est une menace qu'il faut contrôler. Quand on se croit seul, en sécurité, un appel peut arriver et bouleverser votre vie. Ou celle de quelqu'un d'autre. Il produit le même son mécanique et sourd pour tout le monde et ne nous fournit aucun indice sur ce qui nous attend à l'autre bout du fil.
Je rentre à la maison en serrant les journaux contre ma poitrine pour les protéger du vent. Je déteste les journaux froissés. Tourner les pages bien lisses m'excite. C'est comme laisser une première empreinte de pas dans la neige.
Je m'observe depuis le coin de la pièce
assise dans le fauteuil, au pied de l'escalier. Dehors, une petite lune blanche apparaît au-dessus de la palissade. Quel que soit le degré de pénombre qui règne dans la pièce, je parviens toujours à y voir clair. Si j'allume les lumières, elle paraît plus vide, alors j'évite, dans la mesure du possible. Le clarté ne me réussit pas. Elle me fait mal aux yeux, gaspille de l'électricité, attire les mites, et que sais-je encore. Si je reste assise dans le noir, c'est pour un tas de raisons.