Janina Ramirez

Pour les cathares, le fonctionnement de l'utérus et la procréation ne faisaient que perpétuer le temps marqué par le péché que les humains passaient sur la terre. Il était tentant pour les femmes de se libérer de cette responsabilité, de la perspective d'être mariée et soumise sexuellement à leur compagnon, et de disposer d'un certain pouvoir sur leur corps et leur vie. Il ne faut pas sous-estimer le poids du fardeau qui pesait sur les femmes médiévales: dès l'enfance, elles savaient que leur destin était de mettre leur vie en danger en accouchant. Si la plupart des femmes couraient le risque d'être violées - ou rejetées par un homme les ayant engrossées, donc mises au ban de la société -, les femmes cathares pouvaient s'appuyer sur leur promesse d'abstinence sexuelle pour prendre le contrôle de leur existence. Environ une femme sur vingt mourait en couches, et beaucoup d'autres devaient affronter la perte de leur enfant, la douleur physique et des problèmes de santé à long terme. S'abstenir de toute activité sexuelle pour des raisons religieuses était un pari plus sûr pour nombre d'entre elles -tant pour les religieuses, dont la population explosa au cours de la période médiévale, que pour certaines communautés comme les cathares.

Nous avons déjà montré, tout au long de ce livre, que même des lieux apparemment éloignés étaient en contact avec des populations situées à des centaines, voire des milliers de kilomètres de là. Comme l'ont prouvé les autres femmes de cet ouvrage, le monde médiéval n'était pas aussi borné qu'on pourrait le croire. Les échanges commerciaux permettaient d'acheminer des marchandises le long des routes et des voies navigables- on découvrit des soieries en Scandinavie, et des coquillages de l'océan Indien en Northumbrie. Les hommes se déplaçaient également, qu'il s'agisse de pèlerinages, de simples voyages, de migrations ou de traite d'êtres humains. En vérité, la plupart des habitants des centres urbains médiévaux étaient des immigrés ou des descendants d'immigrés. Partout où des échanges commerciaux avaient lieu, il y avait des vendeurs, des voyageurs et des négociants d'origines, de races et de religions différentes.

Les monastères, les couvents et les monastères doubles comme celui de Cookham, où hommes et femmes vivaient et priaient ensemble, étaient de véritables centres politiques, sociaux, artistiques et culturels. Ils étaient dirigés par les personnalités les plus puissantes du pays, constituaient des foyers pour l'éducation, la médecine, la science, la technologie et l'écriture d'ouvrages, et exerçaient une influence aussi bien laïque que religieuse.

À l'époque, les femmes n'étaient pas autorisées à écrire sur des questions religieuses. II est incroyable qu'elle soit parvenue à développer une approche théologique aussi sophistiquée et personnelle, où l'amour de Dieu est féminin et nourricier et la création née de l'amour divin. Elle brisa les barrières de genre. Malgré tout, les encouragements des hommes de son entourage laissent penser que nous ne devrions pas seulement revoir notre point de vue sur la pensée et le ressenti des femmes au XIIe siècle; nous devrions aussi nous interroger sur l'image que nous avons des hommes de cette époque. Si Hildegarde était une femmne écrivant avant tout pour les femmes, elle fut soutenue tout au long de sa vie par des hommes - et ce depuis son enfance, quand elle manifesta un comportement inhabituel, jusqu'à son âge mûr marqué par la maladie et à son rôle, dans les dernières années de sa vie, d'abbesse influente et de fondatrice de monastère.

Æthelflæd n'avait donné naissance qu'à une fille - un fait inhabituel à une époque où fournir un héritier mâle était une fonction cruciale pour une épouse royale. L'historien du XIIe siècle William de Malmesbury rapporte qu'elle refusa d'avoir des relations sexuelles après avoir accouché, parce qu'il était « malvenu de la part de la fille d'un roi de céder à un plaisir qui, au bout d'un certain temps, avait des conséquences à ce point douloureuses ». Il suggère aussi qu'elle se dérobait à ses « obligations maritales » en raison des risques que cela faisait courir à sa vie. Æthelflæd eut peut-être des problèmes de santé lors de sa grossesse et de son accouchement. Fidèle cependant aux reines merciennes qui l'avaient précédée, elle considéra qu'une héritière était tout aussi capable de régner qu'un homme. Elle mit en place des garde-fous, obtenant la promesse des seigneurs de Mercie que sa fille, Ælfwynn, lui succéderait.

Les preuves seront toujours incomplètes, mais ces découvertes récentes contraignent les chercheurs à porter un regard neuf sur les découvertes de l'ère viking. Plutôt que de nous contenter d'interpréter les preuves dont nous disposons en usant de techniques héritées de traditions anciennes et imprégnées d'idées reçues, nous pouvons désormais envisager ces éléments d'un œil neuf. Quand on commence à chercher des représentations de la fluidité de genre, un nouvel angle de vue apparaît. Cela ne veut pas dire que toutes les femmes vikings étaient les skjaldmeyjar (des guerrières armées de boucliers) de la légende, ni même qu'elles aient été nombreuses à jouer ce rôle. La guerrière de Birka était peut-être une exception. Mais cette exception est source d'inspiration, et son histoire nous rappelle qu'il faut garder l'esprit ouvert quand on examine le passé. Il était aussi complexe et contradictoire que l'est notre présent.

Étant donné le goût contemporain pour la science et la raison au détriment de la religion et de la spiritualité, la nature profondément pieuse du mouvement des suffragettes est souvent négligée. Beaucoup de gens les considèrent aujourd'hui davantage comme des femmes politiques que comme des dévotes. Mais la plupart des femmes qui prirent part à des activités militantes se voyaient comme des soldats du Christ, promouvant le changement social au sein même de la religion. « Bataillez et Dieu donnera la victoire » : la devise de Jeanne d'Arc, sainte de l'Eglise catholique, était inscrite sur leurs bannières aux côtés de sa représentation médiévale.

L'histoire est une matière vivante, et la façon dont nous l'abordons croît et se modifie; mais la manière dont on écrit l'histoire reflète l'époque à laquelle on écrit aussi bien que celle sur laquelle on écrit. Dépeindre le passé sous un jour nouveau peut influencer le présent. Au moment de l'expansion coloniale, quand il fallut soutenir le commerce des esclaves, l'historien livra aux lecteurs des récits d'explorateurs et de conquérants. Quand on eut besoin de soldats, prêts à mourir pour leur roi et pour leur pays, I'historien leur donna des héros et des guerriers. Quand la société encouragea la domination masculine et l'assujettissement des femmes, l'historien prodigua un récit axé sur les hommes.
Qu'en est-il de l'écriture de l'histoire aujourd'hui, à une époque où tant de gens luttent pour davantage d'égalité ? Considérer le passé sous un autre angle peut-il infléchir la façon dont nous envisageons l'avenir ? Trouver des femmes du Moyen Age émancipées et dotées d'une capacité d'action est ma façon d'infléchir la réflexion, en proposant de nouveaux récits aux lecteurs d'aujourdhui.

De plus, contrairement à nombre de ses contemporains, Hildegarde s'intéressait aussi de près au bien-être gynécologique et sexuel des femmes. En 1150, elle livra la première description connue des sensations provoquées par l'orgasme féminin :
Lorsqu'une femme s'unit à un homme, alors la chaleur de son cerveau, qui éprouve en lui le plaisir, annonce d'avance le goût de ce plaisir dans leur union et l'émission de la semence. Et une fois que la semence est arrivée à sa place, la très forte chaleur du cerveau l'attire à elle et la conserve: bientôt alors les reins de la femme se contractent, et tous les organes qui sont faits pour s'ouvrir à l'époque de ses règles se referment, de la meme maniêre qu'un homme puissant retient quelque chose dans sa main.

Mais ce que ces femmes du Nord ayant vécu au VIIeme siècle révèlent, c'est qu'adhérer à l'Eglise romaine au cours de la première vague de conversion était un moyen d'acquérir du pouvoir et de l'influence. Ces dames de la noblesse pouvaient éviter les mariages arrangés, destinés à garantir des allégeances et à obtenir des héritiers, et créer leurs propres centres d'apprentissage où elles pouvaient être riches, respectées et honorées après leur mort, en bénéficiant des mêmes possibilités que les hommes de leur entourage. C'était une époque singulièrement bénéfique pour les femmes vivant au sein de l'Église ; et la princesse de Loftus, Hilda, Ælfflæd et d'autres encore récoltèrent les fruits de cette nouvelle foi.