Dans un monde où le travail mal payé est abondant rien ne pousse à économiser la main d'oeuvre. [...] Des améliorations des processus de travail dans d'autres secteurs suppriment des employés qui, parce qu'ils doivent travailler pour vivre, sont réorientés vers des emplois mal payés et peu qualifiés. Cet excès de travail disponible crée une compétition intense pour des emplois autrement peu désirables, gardant les salaires bas.
Comment expliquer une meilleure productivité "dans le déclin relatif de la production couplé à la baisse encore plus rapide du nombre d'emplois" ?
[...] Ford s'est essayé à une explication qui peut être retracée à avant le début de la crise, au début du millénaire. Si des gains de productivité ont été gagnés, cela ne s'est pas fait grâce à une révolution dans la configuration des flux de travail, le remplacement des humains par des machines, ou encore des progrès dans l'automation. Les vrais "progrès" [...] ont été réalisés dans la domination du processus de travail par les patrons; leur capacité à forcer les travailleurs à produire plus pour une heure donnée, au travers de moyens de contrôle, de surveillance et de discipline.
Au début des années 1960, Boggs prédisait un jour où un grand nombre de ceux renvoyés des usines des industries du nord des Etats-Unis n'auraient "nulle part où aller" : c'étaient les "surtravailleurs", les "sacrifiés de l'automation". Aujourd'hui les enfants et les petits enfants de ce "surtravail" demeurent englués dans des villes en déclin, des banlieues lointaines, et des ruines rurales. Ils survivent en acceptant des emplois à mi-temps précaires et en contractant des prêts à des taux exorbitants, mettant une heure aller et une heure retour pour se rendre au travail, surveillés par des policiers armés jusqu'aux dents alors qu'ils marchent de l'arrêt de bus jusqu'à chez eux. Certains prennent part à des rackets ou des escroqueries, alors que d'autres tombent dans la dépression ou la drogue. La prison n'est jamais bien loin.
En Chine, des progrès rapides dans la "surveillance assistée par l'intelligence artificielle", en particulier la technologie de reconnaissance faciale, sont de plus en plus exploités sur les "sites de construction, permettant aux managers de faire le compte de combien d'heures les ouvriers passent sur le site, et de voir qui se laisse aller"; les "lunettes de soleil intelligentes", surtout utilisées par la police pour surveiller les civils dans les gares, sont maintenant fournies aux "usines de fabrication à des fins de gestion du temps et de contrôle de la qualité".
Qu'il s'agisse des noeuds de transport, des hôpitaux et des centres de santé, des "magasins à grande surface, des hôtels et des centres d'appels", Moody n'y voit pas des emplois dispersés, peu productifs, et requérant beaucoup de main d'oeuvre, mais plutôt des "usines d'aujourd'hui", d'où verra le jour une nouvelle ère "d'organisation et d'action de la classe ouvrière", d'une ampleur similaire au syndicalisme d'industrie des années 1930.
Boggs pariait sur ces "marginaux" qui auraient à inventer, et rapidement, une "nouvelle façon de vivre". Ce qu'il disait alors est encore totalement valable aujourd'hui : "Les moyens de vivre sans avoir à travailler sont tout autour d'eux, devant leurs yeux. La seule question, le truc, c'est comment s'en saisir".
Voici une contradiction essentielle de l'usage capitaliste de la machine : cette productivité de l'industrie capitaliste consigne une partie de plus en plus grande de l'humanité à des activités de travail peu productives, et même souvent improductives, au sens marxien du terme.
Alors qu'elle devient [la nourriture] de plus en plus bon marché dans les sociétés industrialisées [...] Les consommateurs sont plus à même d'acheter autre chose, avant tout des services, dont notamment la nourriture servie dans les restaurants.
La perspective de la perte d'emploi a toujours servi comme une mesure disciplinaire sur les employés.