Gérald Guerlais : Clémentine et moi nous sommes rencontrés dans un escalier lors d’un salon du livre. Je venais juste de lire une de ses interviews. J’avais des questions supplémentaires parce que son profil de polygraphe stakhanoviste et d’insatiable lectrice piquait ma curiosité. La conversation s’est muée, au fil des semaines, en une collaboration. Surtout lorsque j’ai découvert qu’elle enseignait, entre autres, le “creative writing” à l’université de York, discipline qui me passionne. J’ai suivi ses cours en ligne. L’élément le plus marquant pour moi a été la première lecture du texte car j’ai tout de suite saisi l’ambition de la mise en scène.
Clémentine Beauvais : Gérald a tout dit. On cherchait un sujet d`album et on bloquait sur cette idée d`escalier. J`ai pensé à l`expression “l`esprit de l`escalier” et tout de suite j`ai imaginé un fantôme dans un escalier... que se passe-t-il ensuite ? J`ai déroulé le fil de l`expression à la fois littéralement et figurativement et on s`est retrouvés avec cette histoire. Gérald s`est tout de suite mis à créer cet univers. C`était une vraie collaboration, j`ai continué à peaufiner l`écriture au gré de ses trouvailles visuelles.
GG : Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait jamais eu de volonté de transmettre de valeurs particulières, ou sinon, peut-être, inconsciemment : le courage d’aimer.
CB : Pareil ici - pour moi ce n`est vraiment pas un texte qui “transmet des valeurs”. C`est un album qui joue sur les mots et sur les images pour faire passer un moment ludique, romantique, fantomatique... pas didactique !
GG : Des balades dans le Paris haussmannien, les quartiers de l’Odéon, des alentours du Jardin du Luxembourg et du Marais. A plusieurs heures différentes de la journée, le matin dès l’aube ou bien au crépuscule. Et puis le Paris rêvé de Jean-Jacques Sempé ou les comédies musicales comme Un Américain à Paris.
GG : Il est toujours recommandé d’avoir un seul style très identifiable et constant. Personnellement, chaque collaboration m’inspire pour explorer des écritures différentes, adaptées au thème et qui entrent en résonance avec le ton de l’autrice. Pour Les Esprits de l`escalier, une ligne légère et élégante s’est imposée, afin qu’elle dialogue avec la délicatesse et l`espièglerie de l’histoire de Clémentine. Clémentine encourageait cette tendance qu`elle avait notée dans mon travail pour le magazine L`Oeil où j`illustre mensuellement. Emmanuelle Beulque, Fred Lavabre et Xavier Vaidis, chez Sarbacane, m`ont aussi accompagné vers cette esthétique avec bienveillance.
CB : Le thème de la mort reste extrêmement léger dans l`album - ce sont des fantômes comme on en voit dans Casper, Harry Potter ou dans Le Fantôme de Canterville... il est question d`une mort qui est littéralement une deuxième vie. J`aime beaucoup l`idée d`un embouteillage générationnel et transhistorique après la mort : le “vieux” fantôme qui rencontre la “jeune” fantômette, à travers 118 ans d`histoire... et vont devoir se comprendre et se parler “en même temps”. J`ai bien aimé parler de cette question de la synchronicité entre deux personnes - clef de l`amour, mais aussi de l`entente en général.
CB : C`est vraiment une dynamique d`écriture totalement différente. Pour moi, un album c`est quelque chose de très rare : les idées ne me viennent que très occasionnellement, et il faut qu`elles soient vraiment solides, interpellantes, pour que je me lance dans l`écriture. Je n`aime pas trop les albums un peu flottants narrativement, composés d`évocations, de visions. Pour moi, un album doit être un petit monde parfait, qui se tient solidement en termes d`histoire, de style, de concept. Mais quand j`ai une idée d`album, l`écriture me vient assez vite et de manière plutôt concentrée - même si ensuite, il y a du re-travail.
Un roman pour ados s`élabore de manière beaucoup plus stratégique et longue, avec des morceaux d`idées datant parfois de plusieurs années, des réflexions qui viennent alimenter l`évolution de l`histoire, des périodes d`écriture longues, énormément de re-travail. C`est comme une très longue randonnée.
L`album, je trouve, donne une impression de “perfection”, d`une parfaite petite bulle, qui n`est jamais atteinte, ou en tous cas pas de la même manière, dans le roman. C`est extrêmement satisfaisant de construire ce petit moment narratif.
GG : Déclencher des émotions. Susciter la curiosité. Bousculer les conventions. Tordre le cou aux a priori. Ouvrir sur des univers insoupçonnés. Nourrir l’imagination.
CB : Et rencontrer les lecteurs et lectrices ensuite. Pour moi, ce contact-là est un privilège énorme.
GG : Je démarre tout juste une petite série avec Cécile Alix chez Poulpe Fictions, dans un registre totalement différent. Et encore plus différent : j’illustre un texte que j’ai écrit aux éditions Gautier Languereau qui sortira cet automne.
CB : J`ai un roman ado qui sort chez Sarbacane en août prochain, et je continue ma petite série de mythologie grecque chez Nathan. J`ai aussi deux traductions en cours.
GG : La lecture assidue des J’aime lire puis des Je bouquine chez Bayard Presse auquel j`étais abonné dans ma prime jeunesse. Avec une mention spéciale pour Le Roi Emile de Gérard Pussey illustré par Michel Guiré-Vaka.
CB : Il n`y en a pas un en particulier ! Mais pour cet album-ci, c`est certain que des livres comme Le prince de motordu, Le Monstre Poilu ou la série des Ma maman / Mon papa m`ont appris à adorer les jeux de mots, qui prennent au sens littéral des expressions figurées et apportent de l`incongru au quotidien.
GG : L`arbre rouge de Shaun Tan qui conjugue le fond et la forme avec une poésie totale.
CB : Pour moi, pour rester encore dans l`album, La Tempête, de Florence Seyvos et Claude Ponti, qui comprend l`enfance comme peu de livres au monde.
GG : Les Fables de La Fontaine. Comme tout le monde, j’en ai appris quelques-unes bêtement par cœur en primaire et puis quand je les ai relues, un peu plus tard au collège, j’y ai vu une véritable encyclopédie sur la nature humaine. Mille fois plus intéressant que n’importe quel livre religieux.
CB : Je pense que les histoires que me racontait mon père ont constitué mon imaginaire littéraire avant même la découverte du livre comme objet, et m`ont préparé à ce miracle : des mots qui créent des images dans la tête.
GG : En livre : La ferme des animaux, de Orwell. En bande dessinée : Les Idées noires de André Franquin, je ne m`en lasse pas.
CB : Numériquement, ça doit être le premier Harry Potter. En BD, sans doute les Jérôme K. Jérôme Bloche !
GG : Les rigoles de Brecht Evens, je n’ai pas encore pris le temps mais je sens que ça va être grandiose.
CB : Ah là là oui, Gérald ça va te plaire Les Rigoles ! Je n`ai pas honte des livres que je n`ai pas encore lus, j`ai hâte…
GG : Papa ! écrit et illustré par le Norvégien Svein Nyhus, édité chez Calligram en 2005. Les compositions sont impeccables, le dessin est magnifiquement stylisé et l’histoire très tendre.
CB : Oui Svein Nyhus, quelle bonne idée ! Moi je dirais Ma maison de Laëtitia Bourget et Alice Gravier, aux éditions des Grandes Personnes, un album dépliable de 4 mètres de long, merveilleux et fascinant, qui suit un enfant qui rentre a la maison.
GG : Je vais faire hurler et perdre beaucoup d’amis mais je n’ai jamais accroché aux BD de Corto Maltese. Et en littérature Madame Bovary m’endort mais qui suis-je pour dire ça ?
CB : Tellement pareil que Gérald pour Corto Maltese ! Et tellement pas pour Madame Bovary ! Moi c`est L`éducation sentimentale qui m`a barbée à mourir.
GG : J’aime bien : “Ce n’est pas un investissement, le regret” dans Songe à la douceur. Sinon, généralement des citations de Sénèque du genre : “Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles qu’on ose pas, mais c’est parce qu’on ose pas que les choses sont difficiles”, mais ça fait probablement super snob, et c’est davantage du registre de la philosophie.
CB : J`aime être citée en même temps que Sénèque... Moi c`est “Of course it`s happening in your head, Harry, but why on earth should it mean that it`s not real?” (J. K. Rowling, Harry Potter)
GG : La série de La passe-miroir de Christelle Dabos.
CB : Le haletant roman Bordeterre, de mon amie Julia Thevenot, qui sort en mars chez Sarbacane.
Découvrez Les Esprits de l`escalier de Clémentine Beauvais et Gérald Guerlais aux éditions Sarbacane
Entretien réalisé par Solène Spiguelaire
Payot - Marque Page - Clémentine Beauvais - de l'autre côté de l'eau
- Je ne comprends pas pourquoi vous vous entêtez à revendiquer ce nom de Boudins ! s'offusque Maman. C'est un mot horrible.
- On le rendra beau, tu vas voir. Ou au pire, on le rendra puissant.
(Rubrique trucs et astuces de la vie, par Tata Mireille :
prends les insultes qu'on te jette et fabrique-toi des chapeaux avec.)
Il a le mal d'un siècle qui n'est pas le sien ;
Il se sent l'héritier amer d'un spleen ancien.
Tout est objet d'ennui pour cet inconsolable-
Ou de tristesse extrême, atroce, épouvantable.
Il a tout essayé, et tout lui a déplu.
Il a fumé, couché, dansé, mangé et bu,
Lu, couru, voyagé, peint, joué et écrit :
Rien ne réveille en lui de plaisir endormi.
Souvent, il imagine, au rebord du sommeil,
Dans un futur lointain l'implosion du soleil.
Puisqu'un jour tout sera cette profonde absence, Pourquoi remplir en vain notre vaine existence ?
Pourquoi se dépenser en futiles efforts
Dans un monde acculé au couloir de la mort ?
Qu'ils sont laids et idiots, ceux qui se divertissent,
Ceux qui se perdent en labeur ou en délices,
Ceux qui travaillent, ceux qui aiment, ceux qui chantent,
Pour oublier le vide intense qui les hante !
Eugène, à dix-sept ans, a tout compris sur tout :
Et comme tout est rien, il ne fait rien du tout.
On ressemble exactement à ce qu’on est : trois Boudins habillés de robes de bal synthétiques et maquillées comme des voitures volées. Astrid et moi ressemblons, en plus dodues, à Javotte et Anastasie dans la version Disney de Cendrillon, Hakima a l’air d’un petit pruneau en robe de jambon fumé.
On reste silencieuses un moment, et puis…
… et puis on n’y tient plus : on éclate de rire, on se plie de rire – un rire qui monte du fond de nos ventres grassouillets, qui secoue nos bijoux, nos cheveux et nos robes, qui nous force à nous adosser aux lavabos, un rire qui donne envie de faire pipi, un rire immense, libérateur, extatique, nouveau, grandiose – aussi immense, libérateur, extatique, nouveau et grandiose que le bal qui nous ouvre ses portes et aussitôt nous avale.
On ne peut pas faire l'amour debout quand on est amoureux,
ça va pas ou quoi, la verticalité ne va plus de soi,
quand on est amoureux,
quand quelqu'un est allé nous voler dans notre ventre
le centre de gravité qu'on y gardait.
On n'aime pas voir les gens beaux aller mal. Les moches, eux, evidemment qu'ils vont mal, ils sont moches.
Mes grands-parents, ils sont colériques, batailleurs, goinfres, ils malmènent leurs employés et parfois leurs clients ; à part ça, ce sont des gens charmants.
Ladite Rachel réussissait l'exploit de continuer à sourire tout en parlant. Ses dents étaient si blanches qu'elles rappelèrent à Kamenev ses années de collège, lorsqu'il tartinait par ennui sa règle en plastique de Tipp-Exx.
Personne ne vous a donc jamais dit , demanda Kamenev , que le "up" et le " down" sont le yin et le yang de la langue anglaise, ses points cardinaux , sa raison d'être ? (…)
" C'est une langue obsédée par sa verticalité", (…). il faut toujours qu'elle précise ce qui est en haut et ce qui est en bas. Quand on a une idée , on " think up" quelque chose. Quand on méprise quelqu'un, on le "lock down". Quand on cherche une maison plus petite , on veut faire du " downsizing", alors qu'un meilleur appartement sera plus " upmarket"."
- C'est quoi, cette crise de délire ? diagnostiqua Matt. T'es fatiguée ?
- Oh, toi ! Tout de suite, elle est fatiguée, elle est hystérique, elle a ses règles.
- Je sais très bien que t'as pas tes règles, puisque ta cup était dans le placard de la salle de bains ce matin. D'ailleurs, ce serait extrêmement chouette si tu pouvais éviter de la ranger à côté du fil dentaire.
Après ce rappel aux valeurs élémentaires du vivre-ensemble, il tapota la tête de sa sœur, laquelle avait posé celle-ci sur l'épaule de celui-là.
Pourquoi Mireille est-elle déçue lors des résultats de l'élection des "boudins" ?