ARENES rouges, spectateurs rouges, ciel bleu et au centre de la piste jaune, un TAUREAU noir et un PETIT TOREADOR vert et or.
LE TOREADOR. – (S’approchant du fauve, dans un murmure) Dis.
LE TAUREAU. – (Avec la voix silencieuse de l’oliveraie sous la pleine lune.) Quoi.
LE TOREADOR. – Tue-moi un peu.
LE TAUREAU. – Seulement un peu ?
LE TOREADOR. – Un peu, c’est suffisant.
LE TAUREAU. – Ce n’est pas suffisant. Ce ne peut pas l’être. Les demi-morts ne servent qu’à souffrir.
LE TOREADOR. – (Montrant la tribune, d’un bref mouvement de tête.) C’est juste pour que ceux-là me voient.
LE TAUREAU. – Entier ou rien.
LE TOREADOR. – (Montrant sa cuisse du doigt.) Entier, c’est trop. Ici, juste un coup de corne.
LE TAUREAU. – Non.
LE PUBLIC. – Ououououou !
LE TOREADOR. – (Nerveux.) Les gens s’impatientent. Entends-les crier.
LE TAUREAU. – Laisse-les crier. Aujourd’hui, c’est leur jour de congés. Demain ils retourneront gentiment au travail.
LE TOREADOR. – Et si tu me roulais seulement par terre ?
LE TAUREAU. – (Obstiné) Il n’y a pas de roulement par terre qui tienne. Je te l’ai déjà dit : entier ou rien.
LE TOREADOR. – (Se résignant, après une courte pause.) D’accord, tue-moi en entier, mais qu’ils te voient faire.
Il avance de deux pas vers le front du TAUREAU et celui-ci l’étripe.
LE PUBLIC. – (Saisi.) AAAAAAAH !
Silence. L’orchestre, qui veut détourner l’attention du public, attaque avec force un paso doble, mais les trompettes sont percées et les musiciens soufflent en vain.