Gros prit enfin la palette. Il montra beaucoup de discernement dans sa manière de colorier et acquit bien vite une grande supériorité dans cette partie intéressante. Ses condisciples regardaient comme un avantage d'être auprès du coloriste, afin de profiter de la vue de son travail, et pour se faciliter l'entente du modèle commun. Loin d'éviter les difficultés de la pose et de l'effet. Gros cherchait, au contraire, à vaincre les obstacles. Le seul exercice auquel il refusait de se soumettre était le concours d'esquisse institué par David. Ce qui ne laissait rien à la spontanéité de son esprit original pesait à l'imagination de Gros. Il concevait par l'exécution : tant ces deux termes se confondaient dans le jet de ses inspirations chaleureuses. Une autre considération pourrait expliquer cet éloignement : avant de se mettre à l'oeuvre, les concurrents faisaient entre eux une collecte, employée à l'achat de gravures données en récompense au vainqueur ; Gros était souvent hors d'état de participer à la masse.
Il se peignit lui-même à cette époque, avec le costume du temps , et la tète coiffée d'un chapeau. L'éclat de la jeunesse et de la santé brille sur ce frais visage, dont les tons chauds et vigoureux sont dans le goût de l'école vénitienne. La touche en est naïve et ferme tout à la fois.
Gros n'est plus! la tombe a reçu la dépouille périssable de l'homme; la France a hérité de la gloire du peintre, dont le génie entier survit dans des conceptions immortelles.
Il restait à recueillir ce qui se rattache à cette grande existence artistique. Elle se compose de faits propres à montrer combien l'observation de la nature est féconde, en l'appliquant aux besoins de l'art, avec le tact judicieux d'une sensibilité communicative.
Je viens, humble élève de Gros, raconter son histoire et décrire ses ouvrages, afin de conserver ses préceptes, comme la tradition d'un enseignement qui a jeté tant d'éclat sur l'école française; heureux si ma faible plume et mon crayon respectueux empruntent un léger reflet à la noble auréole du maître!
Gros ne se contentait pas des études spéciales de l'atelier et de l'académie; il utilisait ses instants de loisir à dessiner ou à peindre d'après la bosse. La nuit n'était pas non plus sans labeur : on soupait régulièrement à neuf heures, chez son père, très-ponctuel dans ses habitudes d'intérieur.