Le Nouvel An selon Jean Bonnerot (1882-1964)
Par les sentiers de neige ombrés de branches mortes,
Voici Décembre, blanc et las comme un vieillard,
Qui chemine et qui rôde et heurte au bois des portes.
Il traîne dans sa hotte, entassés au hasard,
Tous les jours, les saisons et les mois de l'année,
Les almanachs nouveaux et les jouets d'un liard.
Noël emplit d'azur la noire cheminée,
Le feu chante aux chenets, et tous les voeux de l'An
Volent de coeur en coeur en manne fortunée.
Voici que de son pas automatique et lent
S'en vient, dans les maisons, avec la lettre amie
Et le vieux compliment banal et somnolent,
Le facteur qui, d'un sac de toile rebondie,
Vous offre l'an nouveau sur son calendrier,
Qu'une chromo grossière et fade colorie.
L'année officielle en son cortège entier
Etend ses douze mois de files régulières,
Comme sur un mur gris un arbre en espalier.
Immense addition d'ombres et de lumières,
Que fait et que refait sans preuves et sans fin
L'Eternité, morose et bavarde écolière.
Toute l'année est là, rigide sous la main,
Close sur elle-même, étroite et minuscule,
Avec les jours des fêtes et les noms doux des saints.
Le temps s'en va plus vite et le passé recule,
Et c'est à peine au cœur l'aube de l'An charmant,
Que déjà l'on sent choir un autre crépuscule.
Au dos, sur deux feuillets fixés exactement,
La liste des marchés, des postes et communes,
Avec la carte en noir de l'arrondissement,
Et tableau des levers de soleil et de lune...
Alors d'un ruban mauve, accrochez près du lit,
Pour que songiez encore à sa fuite importune,
Le carton de l'année où votre âge vieillit.
Jean Bonnerot, 1910, Le livre des Livres 1904-1909,
Le 4 octobre 1887, Tolstoï répondit, en français, une longue et noble lettre, que R. Rolland publia quinze ans plus tard (1902). Lettre prophétique qui est comme un manifeste et un appel à l'art populaire : elle montrait le côté factice et vain de l'art et de la science, tels qu'ils étaient alors ; elle prouvait que l'art ne doit pas être la propriété d'une caste sociale privilégiée et que « les produits de la vraie science et du vrai art sont les produits du sacrifice et non des avantages matériels. » Elle disait notamment : « La science véritable et l'art véritable ont toujours existé et existeront toujours... » L'art s'étiole aujourd'hui, parce qu'il « n'a plus de racines dans la vie de la terre » parce qu'il est «l'oeuvre de fantômes d'hommes, d'ombres d'êtres, de larves nourries de mots, de couleurs de tableaux, de sons d'instruments de musique, d'extraits de sensations. » Il ne peut vivre désormais que s'il s'oriente nettement dans un sens populaire.
Evénements universitaires sans grande importance, si on les compare aux « découvertes » que R. Rolland vient de faire au cours de ces trois années. Dégoûté de l'idéalisme officiel et fade que ses premiers professeurs avaient voulu lui inculquer, passionnément épris de vie et de vérité, ennemi des illusions quelles qu'elles soient, et des discussions oiseuses qui sont de faux jeux d'esprit, inquiet, cherchant une foi sûre pour asseoir son oeuvre d'homme, seul, sans guide, sans ami, sans maître « dans le désert infini de sa pensée », R. Rolland trouva les deux chefs qui devaient lui montrer le chemin.