Citations de Jean Chardin (11)
"On se sert des couleurs, mais on peint avec le sentiment."
ce mot d'afium, que les Persans donnent à cette drogue, et dont nous avons fait celui d'opium, signifie, dans son origine, «affaibli de sens», parce que l'usage immodéré de ce suc affaiblit l'esprit et les sens. On l'appelle aussi tériac, qui veut dire «cordial », et ceux qui en prennent, teriaki; ce qui est une injure en Perse, comme chez nous celle d'ivrogne.
On n'entend parler presque jamais en Perse d'enfoncer les maisons, d'y entrer à vive force, et d'y égorger le monde. On ne sait ce que c'est qu'assassinat, que duel, que rencontre, que poison. Dans tout le temps que j'ai été en Perse, où j'ai fait tout mon séjour à la ville capitale, ou à la suite de la cour, ou bien en d'autres grandes villes, je n'ai vu exécuter qu'un seul homme; de manière, qu'à celui-là près, tout ce que je puis rapporter des supplices de ce pays-là, n'est que par ouï-dire...
Il y a des filles de gouverneurs de provinces et des plus grands seigneurs du royaume dans le sérail; mais le plus grand nombre sont géorgiennes, circassiennes, ibériennes, et autres personnes de ces provinces d'alentour, où il semble que la beauté répande ses charmes avec plus de libéralité qu'en aucun autre endroit du monde.
Il faut se souvenir en cet endroit de la frugalité des Orientaux, parmi lesquels les Persans particulièrement sont à estimer, mangeant beaucoup moins que les Turcs; car d'ailleurs, si on couvrait les tables à Ispahan, comme à Londres, ou à Paris, il faudrait bien faire venir des provi- sions de plus loin. Les Persans ne mangent de la viande que le soir, et n'en mangent qu'avec du riz et aussi des légumes. J'ai observé ailleurs combien leurs chairs sont pleines de suc, de manière qu'on peut dire en général qu'il ne se fait que la dixième partie de la consommation de chair en Perse, qu'il se fait en nos pays par proportion.
Les Persans n'ont jamais été informés des étranges prérogatives que le pape s'attribue, ni de l'autorité qu'il a prise sur la conscience de la plupart des chrétiens. On leur a dit que le pape est un souverain temporel, qui, en qualité de successeur de Jésus-Christ, tient le premier rang entre les princes chrétiens, de la même manière que les califes de Bagdad étaient révérés des princes mahométans; mais on ne leur a jamais rien dit de ses incompréhensibles prétentions à l'infaillibilité: cela choquerait trop rudement leur bon sens, et l'on ne veut pas leur faire paraître absurde et contradictoire une religion qu'on est venu leur enseigner.
Gardez-vous du devant d'une femme, du derrière d'une mule, et d'un molla de tous les côtés.
Les Persans ne tiennent proprement pour gens savants, que ceux qui savent toutes les sciences, et qui les savent toutes également; mais ils ne tiennent pas pour tels, ceux qui ne savent qu'une partie de ces sciences, encore que ce soit dans un degré excellent; aussi s'appliquent-ils à toutes en général, tenant qu'elles sont comme un enchaînement les unes avec les autres, qui engage à les parcourir toutes, de la première à la dernière. C'est peut-être là une des principales raisons qui les empêche de pénétrer aussi avant dans chaque science, qu'on le fait en Europe.
Ou'un souris que vous fait le roi ne vous rende pas plus fier. Ce n'est pas proprement un souris ; c'est vous faire voir qu'il a les dents d'un lion.
Si la Perse était habitée par des Turcs, qui sont encore plus fainéants et plus détachés du soin des choses de la vie que les Persans, et fort durs dans leur gouvernement, elle deviendrait encore plus stérile qu'elle n'est; comme, au contraire, si elle était dans les mains des Arméniens, ou de ceux qu'on nomme ignicoles, on y verrait bientôt reparaître l'ancienne splendeur.
La religion des anciens Perses, qui étaient ignicoles ou adorateurs du feu, les engageait à cultiver la terre; car, suivant leurs maximes, c'était une action pieuse et méritoire de planter un arbre, de défricher un champ, de faire produire quelque fruit à une terre stérile, au lieu que la philosophie des mahométans tend seulement à jouir des choses du monde pendant qu'on y est, sans s'en soucier davantage que d'un grand chemin par où l'on a bientôt passé.