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Citation de klakmuf


D'emblée, c'est le géant qui frappe les imaginations. Ces cent quatre-vingt quatorze centimètres propulsés au-dessus des agitations moyennes de ses contemporains retiennent l'attention des plus indifférents, et aussi cette façon irrationnelle qu'il a d'en user, semblable à ces colosses de kermesses flamandes agités par Till l'Espiègle. Bizarres moulinets, surprenants sursauts, étranges élancements. Rien de moins conforme aux us et coutumes, aux qu'en-dira-t-on, normes anthropologiques et règles innombrables forgés au pays de Vaugelas et de M. Faguet.
"Drôle de corps", dit-on d'un original. Aucune formule ne lui sied mieux. Il n'a pas fini d'étonner son monde rien qu'à entrer dans une pièce, rien qu'à dresser, au-dessus du populaire, ses bras en forme de mât de cocagne. Et pour peu que le terrain s'y prête, comme aux abords de Montcornet en mai 1940, il juge bon de hausser sa grandeur sur quelque butte, remblai ou talus pour mettre encore d'autres couches d'air entre le regard de ses interlocuteurs et le sien. La foudre doit tomber de haut.
Ensuite, la tête. Surmontée ou non de ce képi en forme de tuyau avorté que l'armée française inflige à ses gradés les plus considérables, elle bourgeonne en méplats improbables, en un nez surtout dont l'ampleur bourbonienne s'accentue d'être braquée sur le contradicteur comme une bouche à feu, si massif qu'il a confisqué l'aspérité du menton et fait oublier un front cerné de mèches brunes qu'on dirait plaquées là par une pluie imaginaire.
Visage d'avant notre époque moyenne et ordonnée, tête pour le heaume, la fraise ou la perruque, face comme un parchemin griffonné par Froissart ou Commynes qu'éclairent d'un feu circonspect les yeux petits, dardés comme la baïonnette d'une sentinelle du fond des orbites en forme de caverne.
"Un homme à peindre", eût dit un bon auteur du temps où le Louvre n'était pas encore un musée, non sans ajouter : "Quelle physionomie" ! Peint ou pas (il le sera très peu), il saisit, déconcerte et refuse de se laisser oublier. Maréchal de Guise, cardinal de Montmorency ou sénéchal des Ardennes, combien de portraits de cette sorte ornent les salles d'armes de très vieux châteaux de chez nous, entre la cuirasse du capitaine des mousquets et l'écu du mestre de camp ? Sous les murailles de Jérusalem, Godefroy de Bouillon et Renaud de Châtillon durent avoir la démarche lourde, les gestes démesurés, les éclats de voix, les coups d'œil fulgurants que les Français vont apprendre à connaître en cet été 1944, après Winston Churchill, Robert Murphy et Henri Giraud...
Ce corps singulier l'embarrasse-t-il ? Il s'en soucie comme d'une guigne, n'étant incommodé ni par le chaud ni par le froid et restant fort peu sensible à la douleur - éprouvée du fait des blessures de 1914 à 1916, mais non de maladies dont il fut presque toujours exempt - hormis deux crises plus ou moins d'origine paludéenne qui l'ont terrassé durant quelques jours, à Londres en mars 1942 et à Alger en janvier 1944.
Les intempéries lui sont indifférentes. Il a bon appétit, mange vite, boit modérément et peut supporter un long jeûne - au moins à l'époque où nous sommes. Cette grande carcasse où il abrite son grand rêve ne l'incommode pas. Il y voit plutôt quelques avantages : d'abord qu'elle le transforme en sémaphore, donnant à ses gestes, au V que dessinent ses bras, une ampleur surhumaine ; ensuite qu'elle lui donne une valeur d'enseigne vivante : " A la plus grande France. "
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