[Indochine, 14 juillet 1949]
Les militaires se couvrent de bananes et de citations. Comme les augures, ils ne peuvent plus se regarder sans rire. Chacun trimballe sur sa poitrine une ferblanterie qui n’est plus qu’un témoignage d’une désolante vanité. On ment à tous les échelons pour en arriver là. […] Derrière cette façade artificielle, qu’y a-t-il de valeurs réelles ? Peu de choses. Mais on ne vit pas impunément dans le mensonge.
En tant que minuscule rouage du système colonial, je peux souligner que, sur ce point, l’aventure du barrage est témoignage : celui d’une action, aux différents échelons de l’administration coloniale, de fonctionnaires dont l’engagement désintéressé et l’initiative venaient d’un désir de servir le petit peuple vietnamien et ce beau pays d’Annam parce que ce petit peuple était aimé et que ce beau pays était devenu le leur.
[Dalat, avril 1949]
Il y a, à Dalat, un tas de services nouveaux où sont planqués de nombreux administrateurs, tous nantis de secrétaires européennes. Il n’y a pas une femme qui n’aie son petit poste, pas fatigant, bien payé et permettant de se balader dans une voiture administrative.
[Le Père Cadière]
« Les Annamites, me disait-il, ne sont bouddhistes et confucianistes qu’en surface : leur religion, c’est d’abord la croyance aux esprits. »
[Poste de Phanri, février 1949]
La situation à Phanri n’est pas brillante à cause de l’incapacité des légionnaires qui tiennent ce secteur. Je n’ai pas une grande admiration pour ces légionnaires. Ils sont gâtés par tout un flafla de mauvais goût dont on les a entourés. Ils sont très « plume au derrière » et ils ont si peu l’habitude de travailler que si cela leur arrive, ils élèvent aussitôt un monument commémoratif.
[Indochine, avril 1949]
Il est à peu près certain […] que seule l’Indochine peut être en Extrême-Orient le centre de résistance aux idées matérialistes sous leur apparence communiste. Il est intéressant de voir combien le rôle de l’Indochine et celui de la France se rencontrent et c’est ce qui me donne grand espoir.
[Indochine, mars 1948]
Dans le fond ce qui se passe ici est à l’image de ce qui se passe dans le monde. Beaucoup de pauvres gens, ballottés par les évènements, résignés au pire, une minorité de meneurs possédant le génie du mal et agissant avec audace, et, du côté du bien personne ou presque.
[Indochine, mars 1948]
Un des aspects du problème que personne n’évoque, c’est le contrecoup des évènements sur l’âme même annamite. Ils se rendent compte de la faillite de leur civilisation et aussi de la nôtre. D’où une grande angoisse et le sentiment que quelque chose de nouveau va naître.
[Indochine, avril 1948]
Il est assez curieux de voir, comme par réaction, la cote de l’amiral Decoux remonter en flèche. Nombreux sont les Annamites qui m’ont dit : « Il faudrait un homme comme lui ».
[Un vieux chef katu (ethnie cordillère annamitique)]
« Tu n’es pas sage, me dit-il, si tu veux fouiller le passé des vieillards ».