Je me souviens avoir été heureuse pendant ces années où mes grands-parents - ma grand-mère surtout - m'ont élevée. J'ai peu d'images précises, j'ai tant occulté mon enfance. Il me reste quelques bribes.
Ma mère m'a accueillie froidement. Elle m'a accueillie comme on accueille une mauvaise nouvelle. Avec une grimace. Il n'y pas eu d'embrassade. Elle m'a indiqué ma chambre et m'a dit d'aller ranger mes affaires. J'ai suivi mon père qui a posé ma valise sur mon lit et m'a laissé seule, en refermant la porte derrière lui.
J'ai attendu. Je me suis assise sur le lit, ma valise bouclée à côté de moi. Pleurant. Pleurant ma grand-mère qui roulait vers Aix-en-Provence. Pleurant cet accueil glacial. Pleurant sur moi, sur ce que j'avais quitté et sur l'inconnu qui m'attendait. Pleurant jusqu'à ne plus savoir pourquoi je pleurais. Pleurant sur mes pleurs. Lorsque je n'ai plus eu de larmes, lorsque j'ai été convaincue que la porte de ma chambre ne s'ouvrirait pas, que personne ne viendrait défaire ma valise, j'ai rangé, bien soigneusement, mes affaires dans mon armoire, comme ma grand-mère m'avait appris à le faire.
Il s'est avéré très vite que, du fait d'une arythmie handicapante, j'étais totalement incapable de suivre la cadence imposée lors des déplacements au pas. L'exercice pouvait certes sembler enfantin au profane : le pas était régulier, rythmé binairement, gauche – droite – gauche – droite. Pourtant, je ne sais pas comment je me débrouillais mais il arrivait toujours un moment où comme le mille-pattes de la fable chinoise, je ne savais plus quel pied avancer : le gauche ou le droit ? J'hésitais, ralentissais, perdais la cadence. Or, étant assez grand, j'étais en tête de peloton et j'entraînais régulièrement ma colonne dans mon égarement. Ma bonne volonté ayant été établie, on en est arrivé très vite à la seule solution permettant de préserver la dignité de l'escadron : j'ai été exempté de défilé et de parade militaire.
Je n'étais que ridicule en marchant au pas. Une arme à la main, je devenais franchement dangereux. J'avais une très mauvaise vue, attestée lors de la visite médicale d'incorporation, mais n'avais jamais porté de lunettes. Au pas de tir, je distinguais à peine les cibles alignées à quelques dizaines de mètres de nous. Incapable de choisir, je tirais au petit bonheur la chance, manquant avec constance la cible qui m'était dévolue et trouant fréquemment les cibles environnantes qui se trouvaient ainsi compter davantage d'impacts que de tirs effectués par les fusiliers voisins. Afin de déterminer les compétences de mes camarades, on m'a exempté d'exercices de tir. Dans la foulée, compte tenu de mes piètres résultats dans le maniement des grenades à plâtre dont je n'ai jamais réussi à maîtriser la trajectoire, on n'a jamais fait l'expérience de me confier le lancement d'un véritable explosif.
L'hiver nous est tombé dessus d'un coup. Sans crier gare. En une seule nuit.
La veille encore, c'était l'été. Bien sûr, on voyait bien que les jours raccourcissaient. Mais les soirées restaient chaudes. Les journées bruissaient de mille sons. Où que nos yeux portassent, pour peu qu'on y fasse attention, ce n'étaient que couleurs vives et joyeuses. C'était un été dessiné par un enfant de cinq ans. C'était l'été et il semblait s'être installé de toute éternité.
Nous nous sommes couchés comme chaque soir depuis... nous aurions bien été en peine de dire depuis quand ! Et quand nous nous sommes réveillés, c'était l'hiver. Par le jour sous la porte, par les joints des fenêtres, s'était glissé un grand silence. Un vent glacial s'était frayé jusqu'à nos jambes nues qui se sont mises à frissonner. Nous nous sommes éveillés, hébétés. Nous avons ouvert grand nos volets pour les refermer aussitôt, saisis. Mais nous avons eu le temps de voir qu'une épaisse pelisse blanche avait effacé toutes les couleurs de l'été. Alors nous avons su :
C'était l'hiver.
Il était revenu.
Et les loups aussi.
Je vous laisse le temps de reprendre la première phrase pour vérifier... mais oui, vous avez bien lu. Ou entendu... selon que vous avez acheté ce livre dans sa version papier, numérique ou audio. Évangile Thomas ! LA Évangile Thomas. La grande, la célèbre Évangile Thomas. L'animatrice de « C'est moi que je l'ai choisi » ! Sur la place du marcher (ce n'est pas une faute d'orthographe) de Perlouze-sur-Yvette ! Ah, ça en bouche un coin ! Là, du coup, on regrette moins son achat. On pensait lire une petite histoire qui se passait dans un petit village avec des petites gens... Et paf, d'un coup on découvre qu'il y a du lourd ! Du « pipole » comme on dit ! Et dès la première phrase ! Et avec plein de points d'exclamation en prime ! Reconnaissez qu'on ne se moque pas de vous : Évangile Thomas est bel et bien l'un des personnages principaux de « Chat vit ; rat rat vit chat », le livre que vous tenez dans vos mains, ou dont les pages s'affichent sur votre liseuse ou que vous écoutez en mp3...