Citations de Jean-Marc Porte (82)
Le sommet? Le sommet, c'est là où les étoiles s'éteignent...
Perdu dans la nuit, au-delà de 8 000 m, on est si seul que l'on en est presque réduit à "être", sans autre alternative.
Nuit noire. Je n'arrive pas à savoir si la vibration que je perçois dans les étoiles, et qui fait pulser doucement toute la Voie lactée, est réelle ou non.
On rêve de dessiner les cotes exactes de l'inconnu vers lequel on part.
Col de La Lung-La, 5 200 m, une courbure de bleu. L'immense arc vibrant de lumière se referme au-dessus de nous. Les collines de caillasse ocre et jaune dessinent un infini vers le nord. La terre est arasée de lumière, un océan de pierres sèches, avec les stries claires des cours d'eau gelés et les nuages qui filent en lignes légères vers l'ouest. Point de fuite majeur : le ciel.
A des altitudes comprises entre 4 000 et 5 000 m, le voyageur, quel qu'il soit, est alors projeté dans l'univers si particulier des lieux. L'isolement, l'ampleur de l'espace quasi désertique : tout y signe non seulement la beauté, mais aussi la singularité du Tibet.
L'Himalaya est comme un vaste monde : des chemins réels, des traces intérieures, la présence du ciel, la force des montagnes, des villages d'ocre et de poussière, des hommes, des lumières rares, si loin de nos vies.
La nuit grandit sur Katmandou. Sous mes paupières, réunis, ces intimes fragments de mémoire, mes émerveillements perdus.
Nous pensons très simplement que nous sommes les seuls hommes sur la surface du globe à "être là".
Autour de nous : le vide, tout cet éther aveugle que j'essaie de tenir à distance raisonnable de toutes mes peurs.
Nuit noire, nuit immense. Nuit titanesque de froid et d'altitude. Le monde tout au bout des mondes.
L'altitude, c'est beau. C'est lent aussi.
Reste que tout va bien : 8 000 m d'altitude, le soleil; que demander de plus au monde en ce jour?
Une pensée pour Messner : comment a-t-il pu se balader ici tout seul?
Dans cette nuit océanique de l'altitude, combien d'hommes dorment isolés de tout, au-dessus des mondes?
Malgré le vent qui nous a secoués pendant des heures sur la longue langue blanche de l'arête nord, il y a beaucoup de paix en ces lieux.
Le Cho Oyu émerge des nuages. Le Pumori semble presque petit. Ce sont les échelles nouvelles du monde, qui bascule très lentement dans une teinte bleue pâle.
Il faut mesurer notre chance d'être là, peser les incertitudes de la météo, rester à l'écoute de soi-même, essayer de cerner et de contrôler toutes les angoisses, des plus précises aux plus floues.
Les jours courent si vite vers le temps du retour.
Se souvenir de ces instants, précieusement, en fermant les paupières, une fois revenu dans le monde des hommes.