Citations de Jean-Marie Barnaud (174)
« Parfois
Dit encore cet homme
Attaché au futile
C’est rien devant
Que le vide des choses abstraites
Demain plus tard jamais
Et la pensée cahote d’une image
À l’autre
Tandis que bruit le monde
En vrac
La mémoire alors joue ses tours
Et tourne au vertige
C’est le temps de la déraison
La sagesse seule de l’amitié
Pourrait guider mes doigts
Et conduire mon poème
À sa fin heureuse
Les amis sourient toujours
Au temps qui vient
Avec eux chaque instant
Croit à sa chance
Franchir ensemble les passes du jour
C’est rire à la perte
Comme on fait aux embruns
Du grand large . »
« On voudrait dire à ces passantes
aux visages si lointains
qu’on les croit perdus à jamais
comme ceux des bannis
que l’oubli guette
on les prie même
de ne cesser jamais être ici
et de se faire entendre
comme dans l’ombre
ce parfum d’herbe
sa confidence :
De l’instant qui vient
Capter la jeunesse
S’en faire une lumière
Et la porter plus loin » ….
EN ATTENTE
« Qu’y a- t-il encore ?
Il y a ce vide
dis- tu
Sec
Comme un tonneau sans fond ?
Alors reviens
Reviens nous vite
Grand soleil
Fais cliqueter ta lumière
Et que dansent à nouveau les corps zélés
Il y a tant de vérités
Muselées sous les grimaces
Derrière des portes
Et qui meurent d’impatience
Appelant au secours la compagnie des sourires
Et les mains tendues
Et revienne la nuit intacte
Où s’exalter
Et se perdre
Montrant du doigt les étoiles
Et murmurant
Dans l’effroi
Leurs noms » ….
Le soleil encore vivant
animait d’éclat les façades
des grands immeubles
dressés à la périphérie
et le chahut sans fin des voitures
aux carcasses froides
Fallait - il croire que la foi de chacun
garderait longtemps le souvenir
du joyeux tumulte
de cette course au large ?
Violence et force
se disait - on
n’ont pas le même visage
Mais comment faire confiance
à l’avenir et conserver au cœur
la saveur qui éclaire le regard
et anime les mains
des hommes sages » …
OCCULTATIONS
« Dire maintenant lassitude
pour fatigue
ne plus savoir comment le dire
et à qui
est - cela la vieillesse ?
( Parler la langue des plaintes
ferait honte )
Bientôt
à voir comment certains
s’affirment
on n’ose même plus dire
je
On se cache sous l’indéfini » ……..
« Ainsi quand la main trace des signes
Indéchiffrables
Ou qu’elle appelle
Entre des arbustes
Une forme penchée
Pour accompagner l’éclosion des fleurs …..
Alors on crie : tu es là?
Mais il n’y a personne
Tel est dorénavant le monde
Effrangé dans sa distance
Méconnaissable » …
ALLANT POUR ALLER
« Que cherchions - nous ces temps - là
allant pour aller
sans autre fin que la mer elle- même
toute mouvante
et traversée d’écume
Jouant à suivre ses formes
à consentir à sa puissance
si fort entrés en elle
et soulevés
que nous étions sa passion
et sa joie
Comme nous étions grands
alors
ayant appris d’une telle chevauchée
l’élégance d’apprivoiser une force
plus vaste que nous
et l’art du funambule
en équilibre sur son fil
La houle et son tohu- bohu
nous pénétraient
Nous étions tout entiers
au cœur du monde
chacun le monde même
Venues d’´ailleurs
et portées par le vent
que nous serrions de près
quand il nous ramena vers les passes
montèrent de la ville des clameurs
Elles couvraient le fracas des vagues
Au pied des remparts
rôdaient les loups
L’inquiétude
troublait l’espace
les tues et les champs alentour
et jusqu’au ciel » .
Je n’ai pas de temps à perdre
« Je n’ai pas de temps
à perdre »,
dit la mésange.
Il est vrai que l’on entend dans les chairs
Il est vrai que l’on entend
Dans les chairs
Ces craquements
Ces coups de sonde sous l’armure
Comme de lointains appels
(qui donc écarte ainsi les fibres
pour faire de la place au vide)
Et l’on voit s’affadir
Le regard
Et passer dans l’iris
Sous les cernes des paupières
Toute la blancheur du temps
L’œil
De plus en plus souvent
Se fixe
Sur moins que rien
Le temps de redonner au cœur
Un peu de son allant
On voudrait bien poser
La chevalée
Et comme finir
Nous pèse
Dans l’air mes yeux
Dans l’air
Mes yeux
Pour y suivre les traces
De ce bleu
Pour y puiser l’audace
Du retour
Dans l’air
Jusqu’à plus soif
Le ciel sur nous
Le ciel
Sur nous
Ne fait pas d’ombre
Il frémit simplement
D’un trop-plein de lumière
Ni le ciel
Ni les flammes
Ni l’eau
Chatoiement de gorge
Chatoiement de gorge
au jardin
les étourneaux ripaillent !
Des feuilles et des fruits
Des feuilles et des fruits
à venir
le figuier ne sait rien
il s’ouvre.
Ce matin
Ce matin,
j’ai surpris l’écureuil :
« C’est la mauvaise saison des hommes ! »
Je vacille dans l’air qui me porte
« Je vacille dans l’air
qui me porte,
dit le papillon,
et me cramponne
à son parfum. »
En voyant la neige
En voyant la neige
les chiens
ont ri.
Tout est perdu rien n’est perdu
Tout est perdu rien n’est perdu
de ces époques de ces visages
L’harmonie les pense
et la syncope
L’une et l’autre redressent
l’âme chétive
Et la bassesse se plie
silence aux mots Menteurs
[…]
silence aux mots Menteurs
À la tendresse imaginée
On ne dit pas
Ma Belle
À la mort
On ne dit
Rien
On voyage en fraude
[…]
On voyage en fraude
Par ces contrées illicites
On répète la fable
On invente un masque de carnaval
Un squelette dérisoire
À croupetons sur la faux du temps
On croit apprivoiser l’innommable
Mais on s’égare
On perd sa propre trace
On crie alors
Sans que la voix se fasse entendre
Et cependant
Les sables mouvants
Nous tirent
On s’enfonce
Même si
Les morts manipulés
[…]
Les morts
Manipulés
Tassés sur eux-mêmes
Aspirés du dedans
Les morts qui tombent et se défont
Sous nos yeux
Dans ce silence qui injurie
Aux choses innocentes
Les morts visibles
Se taisent
Leur poids nous nie
Et nous exclut leur pesanteur
De cire
Tels nous serons