Citations de Jean-Marie Barnaud (174)
I
Un ravaudeur
assis dans l'ombre
en tailleur
comme un derviche
ramasse des débris
d'étoiles pauvres
sans même lever la tête
vers là-haut le ciel opaque
Il marmonne
que ce fut là sa vie déjà
et tente d'ajointer les pièces éparses
Et dehors
c'est-à-dire de l'autre côté
de ses mains de sa bouche
de ses yeux perclus
la gaieté en toute justice
va et vient
et les rires
et la beauté aux jambes nues
p.12
III
Bleu
Est-ce manière de dire
de s'accrocher encore aux vieilleries
poétiques
Bleu
Et quoi d'autre
pour soulever la langue
p.21
I
On va
en équilibre sur le fil
On se hèle
À peine si l'on prend le temps de sourire
Simplement
on pousse les mots
comme des pions sur une table de jeu
À la surface de l'œil
on laisse se déposer les choses
Le regard met de l'ordre
dans le trop-plein du monde
p.9
III
La mer en joie m'attend
la mer au souffle court
Bleu de lait
ce métal flambe au soleil
Lames urgentes et brèves
l'une après l'autre remises
à ma ferveur taciturne
Je ne suis oui que la beauté qui passe
sous toi
et qui s'absente
p.49
II
Voyez-le replié sur sa peine
Sentez-vous lui peser aux épaules
la contention de la rigueur
Afficher sa blessure
suffit-il à fonder la justice
Tant de contorsions de doutes
de palinodies
alors qu'on pousse la carriole
Faut-il à nouveau convoquer le spectre
de la nécessité
p.27
I
Corps penché sur soi
c'est l'âme qui sonde
ses dépouilles
et demande ce que pèse
l'intime
L'âme qui rêve questionne :
Orphée ramènera-t-il
de si loin qu'il écrive
un texte monde
qui enchante son vertige
p.21
I
Dehors est sévère
Il effraie les gagne-petit
Qui donc tient ensemble tous ces fils
demandent les naïfs
Qui porte les rumeurs la douleur
la joie
Suffit qu'on cesse d'écouter
cavaler la langue
comme elle peine à dire
pour entendre résonner du vide
p.13
I
Allez on aura fait son exercice
du matin
ses ablutions spirituelles
l'âme purgée des scories
de la nuit
rinçant à grande eau son corps obscur
(une autre toujours plus absente
s'abrite derrière la familière
qui s'obstine
et se défait dans les mots qu'on émiette)
p.12
III - 1
Pour avoir couru
aux limites
un renard est couché
fauve
au lit des feuilles
Le front à la vitre
le petit homme met en balance
ses risques de papier
son cœur
et sa raison mélancolique
p.37
I
Parler écrire on sait faire
mais voyez la saveur
dès que périr et guérir
et gain et perte
jouent dans la même paume
oui
passe ton chemin beauté
quitte le lit des apparences
et des métamorphoses
où fleurit jaune l'inconsolable
p.16
I
Sur chaque objet docile
qui l'ignore
pèse le poids indécidable
de la perte
Quels mots pour eux
une fois aveuglé le regard
qui doucement les palpe
Quelle amitié
pour couvrir de son aile
ces figures muettes
p.20
IV
Mais quelle voix de douceur
et d'abandon
se fraie un chemin
entre les épaisseurs
parmi les nœuds du cœur
Quel sourire prend la plainte à revers
et l'efface
abrite la bête dans l'humide
sous les paupières
entre les lèvres
p.66
IV
Tu ne vois pas
combien ton corps
aimante l'espace
Tant d'années que je l'entends
qui respire hors de moi
Tant d'années qu'il s'abrite au secret
que je lui manque
comme on s'essouffle
dune après dune
à poursuivre une clarté
p.65
IV
Main accordé à l'autre main
le regard ne sait rien
des yeux d'en face
ni leur couleur
ni l'arrière-monde
sauf la présence au bout des doigts
qui se dérobe
Main accordée à l'autre main
l'autre chaleur
réduit le monde à la caresse
p.64
III
Grand feu simple
dans le bois
c'est l'embellie du jour
Tard dans la nuit
je viens aux braises
portant le seul fardeau
de mes yeux d'ombre
Le feu ignore
la herse des mots
Il veut une autre discipline
p.46
IV
De l'oiseau sur le toit
je ne vois dans l'herbe
que l'ombre
comme sur ton visage
la passante inflexible qu'il accueille
et qui demeure au loin
Dehors est sans haine
sans compassion
rompu en soi
Dehors guérit de la fatigue
p.61
III
Les lieux aussi sont corps mêlés
Misère et grandeur s'y accouplent
On reconnaît chacun à son ciel
comme il embrasse
comme il courbe et lisse ses teintes
Le temps alors
met sa tête sous son aile
vous confie au hasard
On a la bride sur le cou
On file ses rêves
p.50
III
On croirait
voyant autour de soi
des champs si propres
que ces courbes vous aiment
qu'elles prennent soin aussi
de l'âme
la font chanter
On abandonne les bois noirs
de la métaphysique
dès que s'éclairent ces contrées
On oublie la nuit griffue
la nuit des petits monstres
p.51
III
Et donc voici la métropole
et moi
grossi des mots des livres
aspiré par le périphérique
et perdu comme un puceau
dans cette machinerie
dont autrefois la poésie
aima la faconde et l'ivresse
Plus tard
depuis le pont
sur l'eau qu'ouvre le mufle
des péniches
à nouveau la voix de la raison
qui aime
et dénoue l'embarras des paroles
p.53
III
Pauvre lutte
quand on mesure ce fantôme
au corps du monde
Voyez l'hiver
occupé à chantourner
ses branches
comme il ravive
la frénésie des yeux
Voyez l'hiver
comme il traverse
p.47