Le fou n'est pas l'homme qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu, excepté la raison.
(G.K.Chesterton)
C'est le petit déjeuner. J'ai pris une tranche de pain à couper au burin. Je la trempe longuement dans le café. Elle en ressort éponge. C'est mou et bon ! J'ai perdu tout goût de la vie. Je saute des rires aux larmes. De la quiétude à la hargne. Sans savoir pourquoi. J'en ai marre de ce bol de verre et de ce café tout noir. Je crie. L'infirmier arrive. Je prends le bol dans les mains. Je le lance par terre. Un bruit assourdi. Il ne s'est pas cassé. De minces filets de café s'écoulent sur les dalles. Je me lance en avant. A plat ventre, je rampe vers le ruisseau. Je lèche comme un petit chien. Je me sens bien.
Je suis devenu la copie conforme de ce qu'on voulait que je sois. Un fou.
Je suis déséquilibré dans tous les sens. Au physique comme au moral. Ils me tiennent en leur pouvoir. Ils m'ont apprivoisé.
" Etre ensuqué " en argot psychiatrique, chez les malades, c'est parvenir à un tel état de déglingue et de casse, qu'on n'avance plus que comme un robot.
Je suis ensuqué. Je suis leur jouet, la marionnette préférée de Messieurs les psychiatres.
Je suis en enfer.
Un enfer moderne sous couvert thérapeutique et humanitaire. Un enfer pavé de mauvaises intentions. Je n'ai plus ni cœur ni pitié. Je suis l'égoïsme. J'ai déjà trop souffert. Ils me répugnent tous. Je les balance dans le même sac de folie, infirmiers ironiques, surveillants mielleux et débiles profonds.
Je suis en enfer et je pleure, j'ai peur. (page 143)
De très loin le meilleur livre que je n'ai jamais lu.
A l'hôpital, on est heureux.