« Je me demandais comment on pouvait vivre avec du sang sur les mains. Que l’on soit criminel ou au service de la loi et de l’ordre. Dans le fond, quelle différence cela peut-il faire ? Quel que soit le motif, tuer une personne reste un acte violent impardonnable. Qu’est-ce qui permet de légaliser un meurtre plus qu’un autre ?
Je me torturais à vouloir deviner ce qui pouvait se passer dans la tête d’un bourreau à la veille d’une exécution. Trouve-t-il un sommeil paisible durant les nuits précédant l’acte ? Le matin fatidique, sa femme lui souhaite-t-elle une bonne journée, tandis qu’il baise le front de ses enfants avant de se rendre sur le lieu de l’exécution ? Au fur et à mesure de la journée, préparer ses instruments, voir le condamné, le regarder dans les yeux, l’installer et enfin officier à une heure précise.
Que reste-t-il de l’humanité de ce bourreau après cela ? Cet homme a tué, mais il retrouve son foyer en toute quiétude. Je repensai à ce dessin où un bourreau, après avoir exécuté un condamné en vertu de la loi stipulant que tout homme ayant tué devait être décapité, se voyait à son tour supprimé en raison de cette même loi. Et derrière le nouvel exécutant, un autre se destinait à pratiquer son devoir sur le précédent, puis un autre et ainsi de suite à l’infini. »
p 112 « – Non ! Ne confondez pas, il n’y a rien de démoniaque ou de divin dans vos destinées. Vous avez créé vos idoles, vos cultes, mais moi je ne suis que dans l’ordre des choses … »… « … Je vous en prie, revenons à
l’histoire d’Alice. Donc, au cours des siècles, fatigué des massacres de masse, j’ai créé des agents. Je ne vous cache pas que le but
premier était de tromper mon ennui. Le contrat était simple : « … « quand ils apparaissaient devant moi, je leur proposais un « choix ». Du moins, c’est la formule consacrée. Ou ils me servaient, ou ils connaissaient les souffrances éternelles.
Vous comprenez bien que les perspectives étaient assez limitées. » … « Généralement, après une petite démonstration de ce qui les attendait, ils acceptaient. Le jeu pour moi, car bien sûr cela devait me divertir, était de
leur imposer une façon d’atteindre des objectifs qui leur était insupportable … »
« -Certains étaient chargés des enfants, d’autres des groupes, des malades. Je me régalais de leurs phobies, de leurs répulsions. En échange, ils pouvaient continuer à exister … » « Après chaque « mission », comme vous avez pu le constater par vous-même, je leur
attribue de quoi combler leurs envies. »
p : 9 « Ses cheveux étaient d’un blond pur. C’était une petite fille rieuse, d’une gaîté sans faille, destinée à vivre dans des histoires commençant par
« il était une fois« . Lors de nos retrouvailles, la fillette n’était plus qu’un souvenir perdu dans un regard sans âme. Je la dévisageai. Elle était assise par terre, adossée contre le mur, repliée sur elle-même. Ses
cheveux semblaient fanés, ses yeux avaient perdu tout éclat, noyés au milieu d’ellipses sombres qui glissaient sur ses joues. Elle fumait la dernière cigarette de son paquet, une main sur sa nuque, épuisée,
sa jupe retroussée laissant entrevoir ses dessous. »