Jean Michel Nivet

C’est ça, demain il lui donnera une chance. Si elle accepte le divorce à l’amiable, il laisse tomber. Il partira avec l’argent épargné, c’est tout. Cela le rassure et le rend plus serein. Si Carole rejette sa proposition, elle devra en assumer les conséquences et donc méritera son sort. Demain, il saura…

Son père n’a jamais accepté d’avoir une fille, cet homme rude voulait un successeur mâle pour son entreprise et faisait partie de ceux qui pensent qu’une fille ne sert à rien… Alors pour compenser, Carole a été élevée à la dure, comme un garçon, non comme un garçon des années 70, mais plutôt comme un jeune d’avant-guerre. Carole n’a jamais manqué de rien dans sa jeunesse, sauf d’amour et de tendresse. A l’école elle était à l’écart, d’une part parce qu’elle trouvait les copines idiotes et futiles, et d’autre part parce que personne n’était attiré par son insupportable froideur. « Cette fille n’a pas de cœur » disait-on autour d’elle.

La reine mère est là, assise dans un fauteuil qui doit lui être réservé. Elle a l’air sévère. On dirait une vieille peinture du dix-huitième siècle, représentant la châtelaine dans ses murs… Didier a calculé qu’elle devait avoir autour de 50 ans, mais elle parait beaucoup plus. Ses traits durs, ses cheveux teints en noir avec une coiffure rigide, et son habillement qui ressemble à celui de sa grand-mère, crée un ensemble peu avenant. Elle ne sourit pas, elle observe le nouvel arrivant d’un œil critique, lui est tout de suite mal à l’aise. Enfin Carole lance les présentations. ―  

On ne discute pas ses ordres, cette femme aux yeux d’acier a su s’imposer auprès de ses salariés, pour la plupart des chauffeurs routiers. Sa relation avec Didier est professionnelle, bien qu’il ait souvent remarqué des regards équivoques, vite esquivés, qu’il préfère ignorer, il est là pour travailler pas pour draguer. Maintenant qu’il gagne sa vie, il va envisager de se libérer de sa mère et louer un petit appartement en ville. En homme prudent, il attend encore un peu, car bien qu’il ait terminé sa période d’essai, personne n’est jamais sûr de garder son emploi dans le monde actuel.

Ils sont seuls, ils s’enlacent comme des gamins qu’ils sont encore, leurs mains parcourent leurs corps, s’aventurent même, Carole vérifie le niveau de désir de sa proie, sourit rassurée, puis elle se sépare en lui disant simplement « tout à l’heure ». Nouvelle frustration, mais comme elle est suivie d’une promesse, Didier attendra, c’est elle qui décide. Ils reprennent leur marche sans dire un mot. Mais une fois rentrés, le grand jeu peut commencer. Cette fois Carole lâche la bride complètement, car elle veut que le passage dans sa maison lui laisse un souvenir impérissable !

Lorsqu’on est jeune la vie est éternelle, puis le temps passe, et la jeunesse fout le camp. À 46 ans, Didier est entré dans la maturité, mais pas encore dans la vraie vie, celle qu’il ambitionnait il y a vingt ans. Depuis toutes ces années où il était pris dans la nasse, il n’a fait que se débattre sans trouver la sortie. Si, tout de même, il est devenu un bon logisticien, un homme de valeur pour l’entreprise qui l’emploie, sa femme, mais sur le plan personnel, il n’a pas trouvé la sortie de secours, celle qui lui permettrait d’échapper à sa prison personnelle.

Un véritable coup de foudre, comme jamais il n’a eu le long de ses 46 ans. Ce coup de foudre qui broie le cœur, qui empêche de dormir, qui peut supprimer tout raisonnement et peut amener à tout. Il n’avait plus qu’une obsession, Esméralda et sa prochaine rencontre.
Il l’a revue la semaine suivante quand il est allé la rejoindre à Angers. Il l’a trouvée encore plus radieuse, plus étincelante. Elle était vivante, vivante est le mot approprié en opposition avec Carole cette femme qui n’a jamais vécu. Esméralda c’était la lumière !

D’une manière générale, il est toujours risqué de dire à une jeune fille qu’une autre est jolie ! Cela peut provoquer une réaction épidermique, sorte de jalousie inutile, qui doit être hormonale…

―   Prends-moi ! lui dit-elle, - maintenant !
Qui pourrait refuser une telle proposition ? Elle lui plait, il est à moitié ivre, elle s’offre à lui. Il quitte sa chemise, ses chaussures et son pantalon en une seconde et s’allonge à côté d’elle en recherchant le baiser. Puis il laisse aller ses mains sur son corps svelte et bien proportionné. Elle se laisse faire mais ne participe pas encore. Lorsque sa main se pose sur son entrejambe, elle sait que le point de non-retour est dépassé, elle a gagné.

Il est comme sous hypnose. Jamais telle aventure ne lui est arrivée. Se faire draguer par sa patronne et de cette manière, représente la réalisation des fantasmes les plus fous, surtout lorsqu’on est un garçon aussi introverti que lui. Il ne réfléchit plus, il ne se pose pas la question de savoir pourquoi elle fait cela, il se contente de supposer qu’elle est folle amoureuse de lui. Alors il se donne à fond dans cet acte sexuel découvrant des sensations qu’il ne connaissait pas.