... si l'on en croit ses romans, Dieu est inconnaissable. Tel une équation mathématique complexe et non résolue, il se soustrait à toute définition proposée par les religions révélées. Il n'en influe pas moins sur le cours des choses, mais son action échappe à toute logique humaine. Dieu est néanmoins au centre des préoccupations de chaque personnage perutzien qui en adapte l'image à ses ambitions personnelles. Ainsi le divin devient tantôt un moyen pour parvenir à une fin, tantôt un alibi qui disculpe de tous les crimes. La stratégie narrative de Perutz consiste à dénoncer l'instrumentalisation du divin par ses personnages.
Néanmoins le roman perutzien peut se lire comme la mise en intrigue des débats qui agitèrent l'époque de sa genèse. Le personnage ne disserte pas sur le doute sceptique. Il n'est pas non plus habité par celui-ci, mais ses névroses, son appréhension problématique du passé et de l'Histoire remettent en cause son rapport à lui-même et à la réalité. L'auteur le fait intervenir dans des intrigues qui s'avèrent être des impasses, dissolvent l'unité de son moi, ébranlent les fondations de son univers et révèlent le vide éthique dans lequel se déploie son action. Il n'en reste pas moins que tout ceci est soutenu par un ton tragi-comique attestant d'un plaisir incontestable de la narration et d'une jubilation irrésistible de l'écriture.
Si la créature de Dieu est imparfaite, ce dernier est lui-même imparfait, donc il n'est pas Dieu, mais une projection de l'homme qui aspire désespérément à dépasser sa finitude.
Providence, fatalité, hasard ? Tout est affaire de point de vue, et aucune instance narrative ne tranche le débat, ce qui signifie que l'interprétation des faits historiques relève nécessairement de la subjectivité de l'observateur.