Ce soir, j'ai l'impression d'être au centre des propriétés du mystère et je m'entends respirer. Je dérive vers je ne sais quels lointains bordés par la margelle des Rocheuses.
J'ai toute la terre devant moi. Aucun nuage. L'horizon est parfaitement clair. Le sommet des monts scintille dans le soleil couchant. Le vent vient de passer au nord. J'ai l'impression qu'un grand oiseau tourne autour du campement. Il glisse contre la nuit qui avance.
Âme des villes, le Grand Canyon n'est pas un salon où l'on cause, mais un sanctuaire qui éprouve le fidèle dans une corps à corps où l'épuisement voisine avec l'ivresse.
Nous traitons les Indiens de sauvages, parce que leurs usages diffèrent des nôtres, que nous considérons comme le summum de la politesse; ils pensent la même chose des leurs.
Dans leur jeunesse, les hommes indiens sont des guerriers et des chasseurs. Lorsqu'ils sont âgés ils deviennent membre du conseil. Leur gouvernement est un simple conseil de sages. Il n'y a pas de prisons, pas d'officiers pour imposer l'obéissance ou exécuter des sanctions. C'est pourquoi ils étudient le plus souvent la rhétorique, car ils savent bien que l'orateur le plus doué est aussi celui qui a le plus d'influence.
La femme indienne travaille la terre, prépare les repas, élève les enfants, conserve et transmet la mémoire des événements importants. Ces tâches respectives de l'homme et de la femme sont considérés comme naturelles et respectables. N'ayant guère de besoins artificiels, ils ont tout loisir de se perfectionner par la conversation. Notre existence laborieuse leur semble, comparée à la leur, une pitoyable vie d'esclave, et ils considèrent ce à quoi nous aspirons comme superficiel et dénué de sens."
Benjamin Franklin