Extrait du roman « Tous les hommes sont rois » de Jeanne Rivoire - parution avril 2019 Avec Karine Ykhlef. Éditions Nouvelle Bibliothèque : https://www.ednobi.com/
Je suis née dans un lieu, Rome, et dans un milieu. Mon milieu, c'est celui des gens qui croient qu'ils ne sont pas les vrais. Les vrais gens. De cela ils souffrent beaucoup. Ils croient qu'ils sont en toc. Et qu'un expert ne s'y tromperait pas: imitation, écoutez le son il est creux, pacotille, je vous en donne disons six cacahuètes et c'est de la générosité. Ils pensent qu'il ne sont pas authentiques. Rêvent d'élever des chèvres dans la montagne car l'authenticité, alors, pousserait en eux comme le blé sur les terres noires d'Ukraine. Ils mangent des yaourts Vrai (marque déposée). Ainsi la vérité glissera-t-elle en leurs ventres, en leurs tripes (un mot qu'ils aiment passionnément et qu'ils n'osent pas toujours, quand ils parlent d'eux-même, prononcer). Ainsi en seront-ils, en quelque sorte, vérifiés.
Au travail, il n'est jamais prioritaire d'obéir à nos chefs. Pas du tout. La priorité, au travail, revient au soin que l'on doit prendre de leur tranquillité d'esprit. C'est très différent. Tu peux désobéir, surtout à un ordre absurde, du moment que:
1. Tu ne le dis pas.
2. La prochaine fois que ton chef parle, tu le laisses parler.
3. Tu ne dis rien, qu'il n'ait déjà dit ou signifié lui-même.
4. Tu t'écrases. D'une manière générale. Et avec le sourire s'il te plaît.
J'ignore pourquoi dans ma thérapie - ou sa tentative - avec Madame Mercier, les sentiments n'étaient pas très valorisés. Je n'ai même pas souvenir que nous en parlions. Le mot sentiment demeurait à peu près imprononcé. Nous disons affect, fantasme, émotion à la rigueur. Et lorsque nous abordions tout de même ce sujet, par le moyen de périphrases, une crainte épouvantable me saisissait: l'idée que je n'étais pas à la hauteur de mes sentiments. que je n'était pas compétente pour les vivre et que par conséquent ils me tueraient. D'une manière générale, je croyais que ce que je venais faire dans cette analyse (ma thérapeute était psychanalyste aussi), c'était me constituer des sortes de qualifications professionnelles et qui me permissent, à terme, de perdurer correctement.
C’est beau, de travailler. L’on se découvre. Ensuite, il
faut faire avec. Accepter le mal comme le bien. L’on découvre les
ingrédients de soi-même. Dans le cerveau, du yaourt. A la place
du cœur, un poivron amer. A la place de la joie, une pincée de
poivre. Je me découvre. Et la seule façon de supporter cela, c’est
de me découvrir plus avant. Il est des processus où la douleur
ne s’atténue qu’à condition de se poursuivre, et je gage que la
découverte de soi fait partie de ceux-là.
Souvent au travail les salariés, pour parler du chef, disent: il. Et pour parler de la chef : elle. Comme lorsqu’un couple parle de son enfant unique. Avec Vincent, nous ne disons pas « Clara s’est endormie ».
« Clara a bu son biberon ». « A dix-sept heures, Clara a rendez-vous chez le médecin ». Est-ce à dire que nos chefs sont comme nos enfants uniques ? Au centre du centre de nos pensées ? Est-ce à dire qu’ils nous soucient à ce point ?
Pierre et ses amis n'étaient pas misogynes: ils étaient méchants. Et cons, ça oui. Du reste les misogynes, en général, ne sont pas seulement misogynes: ils sont cons aussi. La misogynie au sens strict cela n'existe pas. Tandis que la stricte connerie se constate journellement.
La soumission aveugle et systématique à l’autorité me fait
horreur. La soumission triste et ressentimenteuse à l’autorité me
fait de la peine. Je cherche quelque chose d’autre, tu vois, une
vie autre, une vie par-delà.