Citations de Jeannine Dion-Guérin (23)
CONTENTION
Quand pleure l'hévéa
sa larme de latex
enchapant l'horizon
Quand de nos sèves
se tarit le goutte
à
goutte
dans un monde blessé
que comprime
le doute
le fil de chagrin s'étire
jusqu'où point
la rupture
Doutes de poète :
Saurai-je découvrir l'ébauche de telle ou telle autre émergence ? Pourrai-je l'authentifier, l'admettre et la transcrire sereinement ?
Au-delà des trames sonores qui parasitent nos réveils (à cet instant vibrations de robinetterie), malgré les rais de lumière filtrés avec parcimonie aux lattes des persiennes, nous pressentons l'approche du Signe...
Il se peut que l'oiseau
n'ignore pas de la vie
le péril extrême mais
que mission lui fût donnée
de consoler la feuille jaunie
avant qu'elle n'accepte de mourir
Méduse diaphane
Tu danses
Tentacules sertis
De bijoux et soieries
Tu recèles en l'ombelle
Les ruses de l'arc-en-ciel
De la toile vierge (extrait)
De tableaux en tableaux
de rimes en versets
toutes terreurs apaisées
degrés après degrés
aborderont sereinement
le karma de l'éternité
Givre en pelouse
Ma pelouse en sueur
frémissante de partout
frêle esquif en partance
sous la dépendance des vents
voici venu le temps pour toi
d’adopter une hybride prestance.
À peine nourrie de rosée tendre
la saison lunatique œuvre
sans transition à te pétrifier.
Murée par le carcan des givres
et bien qu’éprise de beauté
tu devras t’accepter rigide
sous l’inique magie
de quelques degrés
de plus ou de moins,
abandonnée à ce destin d’herbe
dont le devenir incertain
est désormais de s’accepter
piétiné plutôt qu’admiré.
Poète laisse-moi être ton dyâli
Griot conteur d'élégies
Ton troubadour de couleur blanche
J'évoquerai toute taga
Sur les notes longues
Du gorong et du balafong
Et par ta bouche je conterai (...)
Lettre à mes médecins
Messieurs de la Faculté,
Laissez-moi la liberté de disposer
de mon corps, espace de jouissance
et d'exultation du coeur et de l'esprit.
Fichez la paix à mes bactéries
qu'elles aient tout loisir de se planquer,
circuler au sein des diverticules
ou appendices répertoriés par vos rayons.
Laissez-les s'ébrouer gaiement, à leur gré
faire gros dos, patte douce, tendre museau
afin qu'elles puissent à vous comme à moi
prouver qu'elles participent utilement
à l'unité, diversité, complexité du Vivant.
Ce qui fut sera...
Je me sais passé, livré à mon futur, en lisière d'un présent qui à jamais consent...
Qui me parle d'éternité ? Tao des origines, j'admets la fin de mon temps. Je sais la croissance et la pause... Je suis désordre dans l'ordonnance, luxuriance dans le dénuement...
Mon tronc est ce corps où Chronos s'harmonise. Il draine ou freine, c'est selon, toutes énergies antagonistes, de celles qui mènent de l'argile sobre de l'humus à l'arc de la cime en ciel.
Futur est mon passé, ce qui sera me fut...
Ainsi médita l'Arbre dans son présent de feuilles, l'automne débutant...
Et maintenant, amusons-nous à reprendre ce texte à haute voix, nous y découvrirons ce que Senghor nommait sa "confiture des mots" plaisir et curiosité en bouche et en prime, le désir de bouger et de faire bouger ! Toute vraie poésie anime le coeur et le corps, je ne cesse de me répéter !
Du passage
Qui ose les mots de l'amour
osera les mots de la mort
Qui contemple les feux du levant
se grisera de l'or du crépuscule
Qui se risque à la source
apprivoisera l'embouchure
là où tous méandres se confondent
se fondent au sable ou aux galets.
Tout signe qui veut bien se manifester modèle à jamais le corps du silence...
Ainsi s'exprimait le poète
C'était un de ces matins où rien ne bouge avec un avant-goût d'hiver...
Qui dira cette douceur de blé vert
sous la lumière filtrée
d’un masque bleu d’hiver ?
Gens de cette terre
pourquoi m'avoir écartée ?
Nourrissez-vous de mes eaux souterraines,
trésor à bon marché, dévorantes pierres
Ouvrez-vous à ma nuit, délaissez les faussaires
Vos yeux, votre souffle, ma chair
s'en trouveront soudainement élargis.
Tant de combats menés
que l'ange harassé dut replier
provisoirement ses ailes
comme du tableau de Gauguin
Tant d'arcanes bravés
de solitaires luttes
tant de lois au hasard livrées
de petites et hautes morts affrontées
qu'il exige droit à s'exprimer
Si touffus les taillis de résistance
que j'en appelle à tes mains
ces tendres mains
qui simulent l'indolence
et m'invitent à défricher
les racines des chemins ignorés
Je suis encore toute imprégnée des odeurs, mais pas seulement de la mer et des eucalyptus, aussi des odeurs de gares, d'aéroports.
Ce n'est qu'un frôlement
Dit le papillon à la feuille
Mais dès que ton tendre besoin
De moi se manifeste
Je cligne d'une aile
Chaque fois frémissante
La jouissance sonnant le rappel
Ecoute le silence
Qui voit germer les pierres
Accueille la mouvance
Des givres du matin
Unissant la cadence
Du long pas incertain
Au rythme d'un hiver
Feignant l'indifférence
Si je chante,
disait le poète,
c'est pour briser
de la solitude l'opacité
et délester du silence
toute densité
Si j'écris
c'est pour éprouver
l'argile souffrante
apitoyer les bourreaux
rejeter de l'étal les couteaux
Si je fredonne et même faux,
c'est pour repousser les gonds
des prisons, alléger les linteaux
qui confisquent la lumière
Si j'écris si je clame
à tue-tête mes mots
c'est pour semer des grains
dans les jachères d'étoiles