Joseph McCabe

Au deuxième siècle avant Jésus-Christ [...] Les femmes aisées de Rome sont indignées par les restrictions sur leurs vêtements qu’impose la loi oppienne alors que la guerre est finie (195 av. J.-C.). Les sénateurs traditionalistes sont épouvantés de les voir organiser une réunion publique, bloquer les entrées du Sénat, exiger le droit de vote et même envahir la chambre des tribuns pour les forcer à retirer leur opposition. En vérité, Rome a changé, et les femmes sentent ce changement omniprésent. Le passage des Romains victorieux dans les villes orientales avait altéré les valeurs patriarcales. Les officiers romains ne pouvaient qu’être émus par les vestiges de la culture d’Athènes, et ils ne pouvaient pas festoyer dans les chambres indolentes des courtisanes corinthiennes ou dans les bois licencieux de Daphné sans que cela modifiât leurs idéaux de vie. La splendeur de la sagesse et des plaisirs de l’Orient éclipsait la vieille norme de la virtus romaine.

La condition des femmes dans la Rome primitive a souvent été évoquée. Nous voyons la nouvelle née, sa vie tremblant dans les mains des hommes à partir du moment où ses yeux s’ouvrent au jour, amenée devant le père despotique pour qu’il décide de son destin. D’un regard sur sa petite silhouette blanche, il dira si elle doit être chassée, pour être récupérée par les marchands de chair humaine, ou si on tolère qu’elle enfante la génération suivante de citoyens. Nous la suivons dans une enfance surveillée, tandis qu’elle apprend à tisser et à coudre, et nous la voyons passer de la tyrannie d’un père à celle d’un mari à un âge où une jeune fille moderne commence à peine à envisager le mariage comme une perspective lointaine et mystique. Nous la voyons ensuite, sans doute moins restreinte que sa sœur grecque, mais étant rarement plus que la servante de son mari. L’opinion publique, il est vrai, mitigeait les traits les plus durs et interdisait les conséquences les plus graves de cette tradition antique. Mais l’horizon de la femme se limitait à son foyer, tandis que l’homme s’enorgueillissait de contrôler une vie publique de plus en plus large.

Octavien avait découvert une façon plus agréable d’obtenir la paix avec
les partisans de Pompée que d’endurer les plaintes discordantes de Scribonia sur son infidélité. Il découvrit — ou le prétendit — que Sextus Pompée n’avait pas réprimé les pirates méditerranéens comme il aurait dû le faire, et décida de lui arracher ses riches territoires. Il était dans cette humeur quand, en 38 av. J.-C., la jeune Livie arriva à Rome, et l’histoire exagérée de ses aventures et de sa beauté se répandit dans les palais du Palatin. Selon certaines sources, Octavien la fréquenta quelque temps ; la pompe avec laquelle il célébra sa barbatoria, ou le premier rasage de la barbe, venait de la générosité de sa passion naissante. Il est plus probable qu’il informa Néron tout de suite de son intention d’épouser Livie. Tacite dit explicitement qu’on ne sait pas si Livie consentit à ce changement de mari. Même si la liberté des femmes romaines était grande à l’époque, on les consultait rarement en de telles occasions. Scribonia reçut une lettre de divorce, dans laquelle il était suggéré que la perversité de son caractère en faisait une épouse impropre pour un mari si volage.

La loi romaine imposait un délai bienséant à une femme divorcée avant de se remarier, mais Octavien était impatient. Il consulta les augures sacrées, et, si l'on en croit la légende, les devins donnèrent une preuve admirable de leur art. Ils affirmèrent gravement que les présages étaient propices à un mariage immédiat si le demandeur estimait qu'il serait fructueux. Ce verdict amusa Rome, car on savait que la grossesse de Livie était déjà avancée et on supposait en général qu'Octavien était le père.

Les Césars avaient sombré en un peu plus de quarante ans de la sobriété d'Octavien à la folie de Néron ; leurs épouses étaient tombées, allant de la force de Livie à la fadeur de Poppée ; les ressources de l'Empire avaient été dilapidées dans des spectacles qui avaient laissé son peuple oisif et débauché ; le vieil idéal du caractère romain avait presque disparu dans la cité impériale. Nous avons voulu savoir quel rôle les impératrices jouèrent dans l'histoire lamentable de ces quatre décennies. Dans l'ensemble, c'est un rôle que leur biographe ne reconnaît qu'à regret. Nous devons cependant nous rappeler que les souverains corrompus choisissaient nécessairement des épouses faibles ou corrompues, et nous ne pouvons pas sembler surpris ou déçus lorsque nous les trouvons emportées par le courant rapide.