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Citation de enzo92320


Je ne suis pas née femme – la lecture des féministes me l’a confirmé alors que j’avais déjà bien grandi. Je ne suis pas davantage née féministe. Et si je regarde avec honnêteté ce que je pensais il y a tout juste quinze ans, je percevais les politiques de discrimination positive en faveur des femmes comme une menace venant délégitimer la réalité de mes efforts ; je ne voulais rien obtenir « en tant que femme » – j’y lisais même une forme d’humiliation. Quand j’ai été acceptée en doctorat d’économie à Harvard, nous n’étions que trois femmes parmi ma promotion (une promotion de vingt-cinq étudiants) ; j’en tirai une certaine fierté. Vanité vaine ! J’étais déjà pourtant à l’époque nourrie de Pierre Bourdieu et de violence symbolique, et prompte à dénoncer l’hypocrisie de la méritocratie à la française et la reproduction sociale dans les classes préparatoires et les grandes écoles (système élitiste dont j’avais pourtant profité). Mais pour ce qui était des femmes… J’imagine que c’est ainsi que l’histoire finit toujours par s’écrire du point de vue des vainqueurs.

L’économie ici aura eu raison de mon ignorance, et ce d’au moins deux façons : d’une part, la découverte des faits quant à la réalité de la discrimination et, d’autre part, la pratique de la discipline. D’un point de vue factuel, ce qui m’a le plus marquée, ce sont sans doute les travaux d’Esther Duflo sur la force des préjugés historiques à l’encontre des femmes dans les fonctions de responsabilité et de pouvoir. Avec plusieurs collègues, elle a montré, dans le contexte indien, que les mêmes discours politiques étaient perçus comme moins crédibles lorsqu’ils étaient lus par des voix de femmes que par des voix d’hommes. Avec une bonne nouvelle cependant : lorsque les citoyens font l’expérience des femmes au pouvoir, en l’occurrence au niveau municipal, ce biais diminue très fortement. Mais cela suppose de faire en sorte que cette expérience puisse avoir lieu pour commencer – ce qui passe par une modification de nos institutions (comme par exemple le tirage au sort de municipalités et de circonscriptions réservées aux femmes et aux catégories socialement défavorisées, comme cela est le cas en Inde depuis des décennies).

Je dis bien « nos » institutions car ce qu’Esther Duflo et ses collègues ont décrit pour l’Inde, on le retrouve ailleurs : ainsi, en France, Jean-Benoît Eyméoud et Paul Vertier ont montré que, lors des élections départementales de 2015, élections au cours desquelles pour la première fois les candidats ne devaient pas se présenter seuls mais en binômes paritaires, les binômes de droite avec une femme en première position alphabétique ont perdu en moyenne 1,5 point de pourcentage de vote au premier tour, déficit de voix qui a modifié dans de nombreux cas le résultat de l’élection. Pourquoi ? Parce qu’un certain nombre d’électeurs ont cru que le candidat (en l’occurrence la candidate) en première position sur le bulletin de vote recevait davantage de prérogatives que la personne en second (alors que l’ordre était en vérité alphabétique, d’où le caractère particulièrement convaincant de l’étude en question).
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