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Citation de Cielvariable


La nuit dernière, j'ai rêvé que je découpais Andrew en une multitude de petits morceaux, comme un chef dans un restaurant japonais, et que je les mangeais, l'un après l'autre. Il avait goût de poulet. Après, je me sentais repue, mais un peu déçue. C'était de steak dont j'avais envie.

J'ai l'intention d'oublier ce rêve. Je ne vais plus penser à la texture granuleuse d'Andrew façon moo shu. L'envie dévorante de l'avaler d'un coup. Ce rêve va s'effacer totalement, ne laisser ni échos persistants, ni assommante impression de déjà-vu, et pourtant il n'est pas impossible qu'il soit à l'origine de tout, qu'il m'ait inexorablement conduite à cet instant.

Car je sais déjà que, contrairement au rêve, l'impasse à venir, elle, va rester. Je vis un souvenir que je ne peux éviter.

Aujourd'hui, je romps avec Andrew dans un restaurant avec crayons de couleur sur les tables et cosses de cacahuètes sur le sol. Une gamine éméchée, en plein enterrement de vie de jeune fille, vêtue presque uniquement d'un chapeau de cow-boy et de pompons, s'efforce de mettre en place une ligne de danse country. Je m'en aperçois maintenant, j'aurais dû attendre une meilleure toile de fond. Là, on dirait que, pour moi, notre relation se résume à deux bières et quelques manchons de poulet à la texane, certes substantiels, mais très épicés. Ce n'était pas l'effet voulu.

J'avais imaginé un désengagement franc et civilisé, peut-être même un tout petit peu romantique. Dans ma tête, la rupture virtuelle se déroulait comme une pantomime : aucune explication, juste des sourires attristés, un baiser d'au revoir sur la joue, un geste d'adieu lancé par-dessus l'épaule. La morsure de la nostalgie et l'euphorie du soulagement, un mélange inflammable peut-être, mais que nous saurions comprendre et apprécier l'un et l'autre.

Au lieu de cela, voilà qu'Andrew me regarde bizarrement, comme une étrangère qu'il viendrait de rencontrer et dont il n'arriverait pas à situer l'accent. Je refuse de croiser son regard. Je réprime une folle envie de me ruer dehors dans les remous de la Troisième Avenue, de me noyer dans le déluge humain qui se déverse des bars pour se répandre sur les trottoirs. Ce serait sûrement mieux que de sentir le désarroi d'Andrew suinter de sa peau comme une mauvaise odeur. Je bloque mes jambes autour de mon tabouret de bar et fixe le globule de sauce barbecue qui lui colle à la lèvre supérieure. Voilà qui apaise ma culpabilité. Comment prendre au sérieux un homme qui se balade avec le menu sur la figure ? Il faut dire, pour être juste, qu'Andrew ne se balade nulle part. Il est juché sur son tabouret, abasourdi.
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