Il avait semé la peur et la discorde. Il s'était nourri de la vie de ces gens. Il l'avait fait pendant des milliers d'années, volant leurs secrets, les transformant en histoires qu'il dévorait.
Elle s’approcha du corps recouvert de coquelicots qui se trouvait non loin.
Elle jeta sur le cadavre un regard rempli de mépris pur et incandescent, plus acide que n’importe lequel des venins.
Si ce regard avait été adressé à un homme vivant, l’esprit de celui-ci aurait volé en éclat. Ses certitudes et sa confiance auraient été instantanément anéanties. Il aurait sombré dans le désespoir et la folie, et aurait accueilli la mort en pleurant de joie.
Mais Tobias était déjà mort.
Il était hors d’atteinte.
Ce qui n’empêcha pas le regard de transpercer son corps, de fouiller son cadavre à la recherche d’une âme à détruire et d’un esprit à briser.
Elle s’appelle Adeline, lui, Markus.
Ils s’étreignent maladroitement, comme les enfants qu’ils sont. Ils sont si jeunes. Ils croient encore que l’amour est une affaire de grands, un bonheur interdit, et que chacun de leurs baisers est un acte de rébellion. Ils croient encore que s’aimer est un secret.
Bientôt, le garçon cédera. Il avouera en criant son secret à sa mère, et restera pantois en l’entendant rire. Mais ce jour n’est pas encore arrivé pour lui. Quant à la fille, elle ne dira rien. C’est une romantique. Adeline pardonnera sa faiblesse à son amant, mais ne dira rien.
Jusqu’à ce que le premier coquelicot perce la neige, du moins.
La seconde d’avant, il n’y avait rien.
Rien qu’un néant d’infinies probabilités. Rien que des idées, floues et mal formées, qui rampaient et fusionnaient, s’entredévoraient et se reproduisaient, fusaient, pourrissaient et grouillaient dans les ténèbres.
Rien que des possibles.
Rien que du néant.
Rien que du vide.
Pour l’éternité.
Et soudain, elles furent. Des autres. Des étrangères, qui transpercèrent les ténèbres, concrétisèrent les idées, remplirent le néant.
Il grimaça légèrement. Il ne voulait pas mourir.
Mais rares étaient les gens qui mourraient parce qu’ils en avaient envie.