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Citation de Charybde2


Je me suis longtemps vue comme un varan. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi. La boue, le secret, la bourbe chaude, s’enfouir, fermer les yeux et hiberner. La puissance des reptiles géants, des choses qui devraient être mortes mais qui vivent encore, de vieux poumons pour ventiler un air sableux à la place du bel air bleu dont on nous parle. Il n’y a pas d’air bleu dans les bayous, dans les marais ; du sable en suspension dans l’eau épaisse, des poumons qui grincent, qui saignent une buée collante, qui fait de la morve rouge sur les narines. Je me voyais comme ça, une tête aux yeux plissés, un komodo épuisé et haletant, à moitié sorti d’une purée primordiale, la gueule encroûtée de boue et de vieux sang.
Les varans rentrent dans le cul des cerfs pour y verser leur poison. Je ne me voyais pas comme venimeuse, mais je pense que cette histoire de cul, de tête dans le cul, de pénétration contre nature et morbide pour se nourrir de merde, je la comprenais. Après tout, le lait de ma mère a été de la merde pourrie.
Je ne me voyais pas comme une violence écailleuse, comme un reptile agressif. Je crois que c’était la survie qui me parlait, la chose remontée des débuts des âges, un cœlacanthe pulsant des jus qui n’avaient pas encore le nom de sang. Quelque chose de vert. Ou de bleu, comme un limule. Quelque chose d’inhumain, de trop vieux pour être humain.
Quelque chose de perdu, aussi, sans doute. Je suis né trop jeune dans un monde trop vieux, moi c’était pareil mais à l’envers. Le monde et ses timidités, le monde et ses rails déjà posés, le monde et sa tiédeur, sa répugnante tiédeur ; Et parce que tu es tiède je te vomirai par ma bouche. Je voulais vomir le monde et ses petits pieds frileux par ma bouche de monstre diluvien. Je l’ai fait. Je l’ai fait souvent. Les gens sont si peureux, petits, tendres dans le sens tendre comme une viande un peu moisie. Comme Vian, comme le gaz du steak dans lequel mord la mère de Joël, Noël et Citroën. Les gens sont comme cela. Leur ventre est mou, et si le nôtre est dur et grumeleux alors on est un monstre. Peut-être que je me voyais comme un varan parce que les gens me voyaient comme un varan.
J’ai failli tuer mon père, quand même. Ça s’est joué à quelques jours. Il fallait bien que ça s’arrête. Il y a des choses qui font s’effondrer le monde, qui font arriver l’apocalypse. Il faut un ventre dur pour les arrêter. On ne va pas me reprocher ça.
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