Chronique de "Tout ce qui fait boum" de Kiko Amat, aux Editions Asphalte. Retrouvez toutes les vidéos ici : http://goo.gl/23DkUZ et Libfly ici : http://libfly.com
C’est ainsi qu’à l’époque où j’aurais dû être en quatrième, je suis devenu futuriste, obsédé par Marinetti, la machine, le mouvement et la force. […] Je m’imaginais envahir l’Éthiopie, mais ma grand-tante m’a dit que c’était du fascisme, et que la limite était parfois floue.
Dès lors, je n’ai plus perdu de vue la limite. J’ai arrêté de me faire avoir en me croyant surréaliste alors que j’étais en fait communiste. J’ai appris consciencieusement où se trouvait la limite de chaque mouvement et de chaque isme.
Au bout d’un moment, j’en ai eu assez d’être futuriste et me suis fait dadaïste.
-Comment tu t’appelles ? me demandaient les autres enfants.
-POLU POLU EKKZA TERRRINU SAPA CADO ! leur répondais-je en hurlant.
Ensuite, invariablement, ils me couraient après, armés de projectiles pointus et de lance-pierres.
L’obsession est une fièvre. Une rage effrénée lancée à toute allure vers un point unique sans personne pour la retenir. L’obsession est un désir démultiplié, et c’est ce désir qui m’a mené jusqu’ici.
À l’heure qu’il est, je vole à une vitesse de 111 kilomètres-heure droit vers un arbre de La Joyeuse Baleine, un camping sur l’autoroute de Castelldefels. Quand je le percuterai, mon cou se cassera en deux comme une gaufrette trempée dans du champagne ; mais pour l’instant, je suis paralysé dans les airs, en plein vol. Bientôt bon à être empaillé, suspendu dans le ciel par des fils d’oxygène.
Les Anglais ont une expression pour ça : in mid-air.
J’espère que cette paralysie passagère me laissera le temps de tout raconter : c’est une assez longue histoire.
Au lieu de se réunir pour tricoter, ma grand-tante et ses copines sortaient à la tombée de la nuit pour casser des vitrines de banque, voler des panneaux de signalisation et des réverbères, renverser les poubelles et taguer des graffitis anarchistes.
Parfois, elles faisaient ça en plein jour. Personne ne pouvait soupçonner de respectables septuagénaires. C'était la meilleure opération clandestine que j'aie jamais vue.