L'Antiquité avait elle aussi connu le culte parfois mélancolique des ancêtres, la louange du "bon vieux temps". Déjà Homère se plaignait : "les mortels tels qu'ils sont aujourd'hui", et Platon, qui avouait s'être converti à la philosophie sous la "contrainte" du temps, parlait des "temps anciens où les hommes habitaient plus près des dieux". Mais les Grecs ne savaient pas quelles jouissance il y a à goûter le passé comme un attrait douloureux, à le rendre présent dans son irrémédiable absence. Il leur manquait le sens de l'altérité, le sens historique qui attire l'esprit vers des mondes mentalement hors d'atteinte. [...] Le mythe remplaçait la conscience historique lorsque les Spartiates croyaient retrouver à Tégée les ossements d'Oreste ou que les Athéniens ouvraient à Skyros le tombeau qui contenaient les restes présumés de Thésée. Décidé à ne parler que du "temps des hommes", Hérodote renvoyait Minos au "temps des dieux" [...], personne n'a pensé, comme Schliemann - un autre passionné d'Homère - à fouiller la colline d'Ilion. On voulait du mythe, non de l'histoire, et Platon avait raison de dire des Grecs qu'ils sont des "éternels enfants sans mémoire aucune du passé".