"La guitare doit-elle toujours être si seule ?"
De fait, il ne s'était jamais demandé pourquoi la guitare dialoguait si rarement avec d'autres instruments. Elle avait la timidité discrète. Ce n'est que lorsqu'elle était seule sur scène qu'elle se révélait et montrait tout son faste. Parfois, elle se retrouvait en duo avec un violon ou un piano, mais, là encore, elle semblait n'être qu'une escorte effacée. Qu'est-ce que cela ferait de mettre la guitare au centre, tel un joyau sur une couronne, et de l'agrémenter d'autres instruments qui, sous forme d'orchestre, répondraient au thème principal ? Cette pensée le remplit d'élan, réveillant en lui une force sauvage. Il ne quittait plus son bureau, esquissait diverses variations de la forme musicale, élaborait les phrases et travaillait jusque tard dans la nuit. Il essayait des versions de la pièce avec des violons, ajoutait et retirait des instruments à vent, jouait et expérimentait. Il avait entouré la guitare de divers instruments, qui étaient tous en couple. Il avait combiné le hautbois et le basson, le saxophone et le cor d'harmonie, le marimba et la harpe, toute une section de violons ; seule la guitare restait seule.
Les idées se bousculaient en lui, tel un tourbillon, et trouvaient l'apaisement dans le son tendre des cordes frottées. Il noircissait des portées et chantonnait dans l'appartement, et, pendant les moments de plus en plus rares qu'il passait en famille à la maison, il était heureux et de bonne humeur. Tous avaient remarqué le changement à l'oeuvre chez lui, il était évident que quelque chose était en train de se passer.
Le chef d’orchestre fit un signe de la main, et je me mis à jouer. Bientôt, la clarinette puis l’orchestre tout entier se joignirent à moi. À un moment, il me sembla que la guitare avait pris possession du morceau et s’était mise à raconte sa propre histoire à travers lui. Le public écoutait, concentré, buvant les notes. L’enfant s’était calmé dans mon ventre, comme s’il écoutait lui aussi attentivement une berceuse. Je pouvais sentir la musique résonner dans mon ventre, mon visage, mes pieds.
Fini le sciage, le ponçage et la découpe. Les sons perçants avaient cédé la place aux chuintements et au vernissage. Il avait commencé par polir toute la surface de la guitare avec un papier de verre très fin, pour en effacer l’empreinte de ses doigts. Puis il avait caressé la guitare au pinceau, lui appliquant un enduit qui renforçait sa fermeté. L’odeur du vernis étouffait le parfum du bois, mais il soulignait sa beauté. Les poils du pinceau, dont Albert affirmait qu’ils étaient faits en queue d’écureuil, se courbaient, laissant derrière eux une trace brillante.
Oui, les nuages sont magnifiques, mais tout le reste dans les voyages en avion me tape sur les nerfs. Arriver en avance à l’aéroport, faire la queue, des tapis roulants, enlever ses chaussures et vider ses poches, la nourriture d’avion dans de petits récipients en plastique et l’air froid qui souffle pile sur votre tête, le décalage horaire, les hôtesses de l’air aux sourires artificiels, tout ça est si contre nature si inhumain. Si j’avais le temps, je préférerais voyager en train ou en bateau, lentement.
Depuis déjà d’années, j’avais le même emploi du temps, et je m’entraînais au moins six heures par jour. Même pendant les pauses, au restaurant, dans le bus, au cinéma, mes doigts s’agitaient et répétaient toujours les mêmes exercices. Petite fille, déjà, mon professeur m’avait expliqué que le talent ne suffisait pas, et que c’était la discipline qui faisait la différence entre un bon et un excellent musicien.
Du dehors, la maison était en pierre de taille, mais l’intérieur était tapissé d'un lambris odorant. Le plancher grinçait sous ses pieds, les marches en bois gémissaient, et le poutres se courbaient comme si elles allaient céder sous le poids d'un instant à l'autre. Pourtant, elle se sentait en sécurité, autant que si elle vivait au cœur de la forêt.
Sa panne durait depuis l’automne précédent, elle s’était éternisée trop de mois et était à présent devenue son état naturel, le prolongement de ses doigts, il ne savait plus comment s’extirper de ce quotidien de frustration. Il avait l’impression d’être en train de crier au fond d’un puits asséché. Personne ne l’entendait et il mourait de soif