Je savais déjà, par la moelle des os, que j'étais un être froid. Je n'avais plus rien à attendre de moi-même. Mais cela, personne ne me l'aurais fait avouer. Homme égaré sans retour, en butte au blâme et au mépris, j'aurais pu me débrouiller tout seul en marchant de côté comme un crabe ; par impudence, je m'étais laissé embobeliner et voilà que je revenais à l'existence en costume et souliers. Ce coup-ci, pas de doute, j'étais dans mon rôle de jeune premier mollasson qui ne sait pas ce que c'est que la honte.
- On m'a achetée avec de l'argent. Et ça, ça veut dire que je ne suis plus moi. Humainement, je suis morte. je suis comme une marchandise qu'on vend et qu'on achète. On peut faire de moi ce qu'on veut, me laisser vivre, me tuer, me manger en brochettes comme toute cette viande de bestiaux que tu as découpée, je m'en fous. Je suis déjà morte.
Elle s'était déjà déclarée plus tôt, cette force qui me poussait et me balladait d'un endroit à l'autre. Dès Tokyo. A vendre des annonces jour après jour, je n'avais qu'une seule peur : j'étais en train d'enterrer ma vie. J'en éprouvais de la rancoeur, le sentiment d'une chose irrémédiable. Et comme je n'étais plus capable de me raccrocher à une femme, je me raccrochais à ma propre nullité. Un rosse, un mauvais sujet, voilà ce que j'étais.
A force d'errer dans un monde irréel, nous avions atterri à Akamé, c'est tout. Avoir atterri là ne nous inspirait aucun respect. La "force des choses", comme on dit : l'impulsion du moment. Une impulsion qui nous avait propulsés, et nous avions atterri là.
Mais quand on est vraiment embêté, on ne peut en causer à personne. Quand on peut en causer, c'est qu'on n'est pas encore vraiment dans la mouise.