Je ressors sans regarder parce que j'essaie de bien caler mon Samsung contre mon sein, du coup je manque de percuter quelqu'un. On s'excuse mutuellement et je lève enfin la tête. Il a un petit sourire et je crois bien qu'il se retient de rire en fixant mon décolleté. Pour un peu, je serai vexée.
- C'est plus pratique que dans la culotte.
Pourquoi j'ai dit ça ? Je suis la reine des répliques qui affichent. Cette fois il rigole en levant les mains.
- Y'a pas de souci.
Il me laisse parfois des jours sans changer mon seau. Il me plonge dans le noir ou au contraire laisse la lumière H24.
Et puis un jour il me balance des journaux. Quand je les lis, je ne vois rien sur moi. En regardant la date, je réalise que ça fait des semaines qu'on ne me cherche plus.
- Alors, tu doutes encore ?
Je ne lève même pas la tête vers lui. Je suis totalement dépité.
M'a-t-on seulement cherché un jour ?
Mon père m'a-t-il réellement livré à ce taré ?
Je suis mort à l'intérieur.
Il faut avouer que je ne me souviens même pas m'être couché, encore moins comment. C'est toujours pareil à l'approche de la date maudite. Je revis sans cesse la disparition de ma sœur comme si c'était hier. Si seulement mes souvenirs étaient plus précis, si seulement je pouvais voir un visage plutôt qu'une ombre, si je pouvais répéter ce qu'Il m’avait dit exactement ou d’identifier sa voix... Peut-être qu'ils auraient pu mettre la main sur le fils de pute qui a brisé ma vie vingt ans plus tôt. Certains me répètent encore que ça n'aurait rien changé mais moi, je suis persuadé du contraire et ça me rend fou.
Elle avait traitée Delia d'effrontée ; lui, ne savait pas ce que ça voulait dire mais ça n'avait pas plu à leur mère. En plus elle avait ajouté que c'était de la mauvaise graine comme s'il s'agissait d'une ortie. Jeremiah avait trouvé cette image idiote. Et puis, si sa sœur avait été une herbe ou un truc dugenre, elle aurait été une rose. Elle était tellement belle avec ses longs cheveux bruns et ses yeux vairons. Un noisette et un vert, ce qui avait toujours fasciné le gamin. Comme les roses elle sentait toujours bon, et elle pouvait aussi bien être douce que les pétales, que piquante comme les épines.
- Je ne pense pas, non, disait Delia à son interlocuteur sur son ton de petite peste.
Et puis... plus rien. Aucune réponse et pas plus d'explication de la part de Delia qui d'ordinaire adorait étaler sa science, comme disait leur père. Plus un bruit. Une angoisse instinctive envahit Jeremiah qui pressa le pas. Une phrase résonnait soudain dans sa tête : "ne parle pas aux inconnus sinon ils vont te manger".
Quand sa mère lui disait il trouvait ça absolument ridicule mais tout à coup... L'épouvantail ? Il secoua la tête. Ce n'était pas possible. Delia devait être avec une copine... non ?
Ce n'est pas la première fois qu'une affaire ressemble, de près ou de loin, à celle de ma sœur mais chaque fois j’ai la certitude que je me rapproche de la vérité, que je vais réussir là où les détectives employés par sa mère ont échoué, là où les flics ont pataugé, là où tous ont abandonné. Estce pour ça que j’ai choisi ce métier une fois remercié par la police ? Pas besoin d’être psy pour le comprendre. Jamais je n'aurais pu être informaticien, avocat, maçon etc. Je ne vis que pour retrouver ma sœur, savoir ce qu'il lui est arrivé et foutre le coupable derrière les barreaux.
La majorité des femmes se disent trompées, c'est leur cœur qui parle ; les hommes se disent cocus, là c’est l'égo qui en prend un coup. La différence vient donc de la fierté mal placée des hommes. Pas tous, bien entendu mais bon, comme pour tout : les exceptions sont rares. Je n'en suis pas une. Quand Laura a couché avec un de mes collègues, et pas qu'une fois, c'est d'abord mon égo qui a morflé. Ensuite seulement, la douleur infligée par la trahison s'est répandue dans tout mon être telle une trainée de poudre .
J’ai entendu dire une fois que les plus beaux souvenirs sont ceux qui font le plus souffrir. Putain que c’est vrai ! Et faut croire qu’onest maso au point de ne s’accrocher qu’à ceux-là. Même si aujourd'hui je peux évoquer mon ex sans avoir mal, elle a, elle aussi, laisser des séquelles. Ok, chacun passe par là à ce qu'on dit mais franchement j’ai eu mon quota d'histoires malheureuses, non ? Et je n’en veux pas d’autres.
Il faut que je sois patient, même si ça me rend fou. En attendant, je me cale bien devant mon pc et je fais moi-même des recherches sur les robes, voir ce que je pourrais trouver. Honnêtement, c’est un peu comme chercher une aiguille dans une meule de foin vu qu'on ne m’a pas fourni les informations sur le tissu et le reste. Mais bon au moins, ça a le don de m’occuper.
J’ai rêvé de poupées de porcelaine qui me fixaient en murmurant, flippant ! Et le noir complet de la pièce ne m’aide pas à me sentir bien. Je me lève d'un bond pour tirer les rideaux et ouvrir la fenêtre. Les lumières des réverbères ainsi que le bruit des voitures au dehors calment un peu mon esprit agité. Une bonne douche termine de me ramener dans le monde réel.