A la monotonie des étendues beauceronnes se substituaient peu à peu les pleins et les déliés d'horizons plus contrastés. Cela voulait dire que nous avions franchi une première frontière, celle qui marquait la fin des grisailles parisiennes et l'ébauche de territoires plus hospitaliers. Des territoires de grands espaces, de fruits sur l'arbre et de ciels bleus. Un pays de frondaisons, de chemins creux et d'eaux si vives, qu'on pouvait s'y désaltérer juste en les regardant courir au milieu des pierres.
L'ennui avance sur eux comme le sable des dunes, poussé par le vent, engloutit peu à peu la forêt.
- Non mais j'vais pas entendre des conneries toute ma vie, entendre des leçons imbéciles jusqu'à la fin des temps ! Ecouter un écrivain qui n'écrit rien, un boxeur qui ne veut pas boxer, des bonnes femmes qui couchent avec n'importe quoi ! Merde m Et quand on s'ra parti, celui-là qui va rester avec sa danseuse qui a une jambe mécanique ! Qu'est-ce que j'en ai à foutre ?
- Ecoute François...
- Ta gueule toi ! tu m'emmerdes toi ! J't'emmerde ! J'vous emmerde tous avec vos dimanches, vos gigots à la con !
Extrait de "Vincent, François, Paul et les autres"
Réalisation Claude Sautet. Dialogues Jean-Loup Dabadie
Je savais qu'il nous aimait, comme un grand-père peut aimer ses descendants. Avec cette nostalgie au coin de son cœur, mais aussi, avec cette peur de partir sans avoir tout dit ou tout fait; il était content lorsqu'il nous voyait. Un peu triste lorsque nous repartions. Puis le décompte recommençait, rythmé par les habitudes, les routines. Les jours qui passent, les jours qui restent. Ce n'est pas nouveau. la vie est une éternité trop courte.
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Les choses convenues sont reposantes. Elles ne se teintent ni d'arrière-pensées ni d'ambiguïté. Ils n'avaient rien d'autre à se dire que le plaisir d'être ensemble. Deux jours plus tôt, ils ne se connaissaient pas. Ils ne s'imaginaient même pas. L'improbable rencontre les avait menés sur un chemin de traverse.
L’époque dans laquelle j’incube, se construit clé en
main. C’est le règne de l’immédiat, de l’urgence. Tout
devient une denrée, une marchandise, que l’on commande
en tapant sur un clavier, pour le lendemain si
possible. Et c’est généralement possible. Nous saturons
notre espace vital de routes engorgées, de mers empoisonnées.
Nous avalons nos privilèges consuméristes,
déglutissons la sueur des exploités, digérons sans états
d’âme le confort prémâché que nous servent les grands
ordonnateurs du web et des paradis virtuels. Trop accaparés
par nos fuites en avant, nous restons insensibles
aux mises en garde des dépositaires de nos consciences
collectives. C’est un engrenage dont j’aspire à me désengager,
quand la force de ma volonté se requille.
Elle était la dernière de la fratrie à prendre son envol.
Inévitablement, tout au long du voyage, il me revint des
cours d’école, des préaux, des marronniers séculaires.
Il me revint des bords de mer, des chemins de montagne,
des villages endormis. Des manèges tournaient,
des sapins s’éclairaient. Puis les fêtes de fin d’année, les
réunions parents professeurs. Les premières frictions,
les incompréhensions. Les incompatibilités musicales,
les salles de bain qui ne s’ouvrent jamais, les chambres
vouées au désordre et aux confessions. Les matins frileux,
les soirs étoilés. Tout résonnait en moi, comme une
comptine oubliée, comme un refrain enfantin.
On s’est vus la première fois quand on avait douze ou
treize ans. Pas de coup de foudre mais une connivence
instantanée. On s’est complètement perdus de vue, pour se retrouver trente ans après par le plus grand des hasards.
Et voilà, c’était comme si on s’était quittés la veille.
Une évidence. Ce doit être ce qu’on appelle la force des
choses.
Je trouve merveilleuse la singulière banalité de cette
histoire. Plus qu’un aboutissement, c’est un théorème.
Ce qui doit arriver, arrive. Aussi vrai que le soleil se lève.
Je soupçonne mon mari de vouloir
aussi s’arracher à la prégnance d’un décompte irréversible.
Chacun sa méthode. Il arraisonne des femmes
plus jeunes, s’invite à des commémorations d’un autre
âge avec sa garde rapprochée. Mon tempérament solitaire
— voire sauvage —, s’accommode de dépressurisations
plus silencieuses ; un sentier sous des frondaisons,
un bord de rivière, une plage déserte.
Nous sommes allés sur les quais. Une brume se levait
sur la Garonne, détourant de façon spectrale, les silhouettes
de bateaux qui mouillaient dans son flot. Dans
ces fantômes, se reflétaient les miens. Les ombres réquisitionnaient
les ombres. Je me fondais en elles.
La nuit se posa d’un coup, épaisse, poisseuse, corrosive.
Son étole de ténèbres recouvrit mon chagrin.