Citations de Léa Lescure (15)
"Ici, le Cheval de Feu, cabaret de luxe. Pour les candidatures au poste d'hôtesse, merci de vous présenter directement au 4, rue Louvain à vingt-deux heures précises. Munissez-vous d'une robe courte, de jolis dessous et d'une paire de talons. Et de votre plus beau sourire, ah, ah, ah! Vous devez impérativement présenter vos papiers et être en règle avec l'administration."
Après la nuit il y a le jour; après les années il y a celles qui suivent, et le risque exacerbé de ne jamais savoir comment la conscience d'après s'appropriera le souvenir du présent.
A l’adolescence, Eva avait été braillarde, confiante, en pleine possession d’elle-même. Elle tranchait la vie comme une lame acérée, ton péremptoire, avis définitifs et jugements ciselés. Le monde était plaisamment radical ; elle jetait sur ses contours nets un regard averti. Puis, un jour, elle n’avait plus su.
Enfin entre parenthèses, cette vieille histoire du temps qui va sans jamais revenir, dans la peau qui se plisse toujours à sens unique et de toutes ces amoures, dans les froissements des heures, amours vent ou amours pierre, pareillement reléguées au grand foutu du passé, avec devant soi cet avenir si long, si rien, si loin, qui lui donnait, ailleurs que dans le studio, l’envie d’aller dormir.
Sérieuse, présente, confiance. […] Confiance, Eva n’avait jamais aimé le mot : l’énoncer était déjà prétentieux, le recevoir était encore plus risqué. Le mot portait une obligation, un contrat, en tout cas quelque chose de fragile qui annonçait la possibilité de se briser, comme une assiette en porcelaine accrochée au mur, maintenue par une structure de fer si fine qu’elle menaçait de tomber.
Elle tenta de se souvenir, mais son esprit était déjà parti ; il bondissait si vite qu’il fallait s’accrocher pour suivre, puis, en plein saut, il explosait en feu d’artifice et les pensées sautaient comme des graines de maïs se transformant en pop-corn dans la vitre du micro-ondes.
La danse, la trêve depuis toujours. Dans le studio, elle commença à se mouvoir comme on agite le drapeau blanc. Trêve, la danse était une trêve.
C'est comme si mon imaginaire s'était bloqué, avait alors dit Éva la fois précédente. C'est comme quand on a l'impression de reconnaître dans le visage des passants des gens que l'on a connus. On aperçoit un profil, une démarche ou un geste du poignet qui est familier ; le regard tique, le cœur s'emballe, on pense : Ah ! C'est François ! Et puis ce n'est pas lui. Ce n'est pas lui, mais il suffirait d'un pas pour qu'on persiste à le croire. Ça m'arrive tout le temps. C'est comme si je n'étais pas capable de générer d'autres visages, d'autres prénoms, comme si mon imagination me resservait indéfiniment les mêmes personnes, mais sous d'autres formes. Un panthéon avec deux trois noms.
"En dansant, elle en mesurait parfaitement les conséquences, qui prenaient corps dans chacun de ses gestes."
"Il le savait bien ; la danse élève autant qu'elle abat ; elle façonne de nombreuses douleurs."
"C'est fort accommodant de lire le passé à rebours, et d'y dénicher des preuves, des signes, du futur qu'il contenait peut-être déjà".
"- C'est dommage. Se confronter à une peur, c'est déjà un peu s'en débarrasser."
La chimie médicale, pas plus délicate qu'un Karcher, propose un ratiboisage général qui aplatit le délire en saccageant tout en bloc.
Les pensées ne finissaient jamais leurs phrases. Elles jaillissaient, organiques, évidentes ; et puis soudain, elles s’arrêtaient.