Lee Alan Dugatkin

Malgré Lyssenko, âme damnée de Staline qui fait la pluie et le beau temps sur la recherche en URSS, le généticien Dmitri Beliaïev, fils de prêtre orthodoxe et frère d'un scientifique exécuté par Staline, va réussir à entamer le projet ambitieux de reproduire en quelques décennies le processus long de 15000 ans qui a fait d'un chien un animal de compagnie.



L'histoire commence quand Dmitri Beliaïev est en charge de l'amélioration de la fourrure des renards et des visons élevés dans d'immenses élevages. Depuis longtemps la vente de la fourrure rapporte beaucoup de devises à l'Union soviétique et Beliaïev accepte de participer à l'élevage de ces animaux dans l'unique but caché de réaliser son expérience. En effet, les fermes des renards sont pour lui le moyen le plus discret pour tester ses hypothèses sur la sélection sur le critère de la docilité conduisant à la domestication, à partir d'une idée simple : créer une nouvelle race de renards en faisant s'accoupler à chaque génération les renards les plus dociles avec les hommes (ils sont généralement très agressifs).



Les résultats sont probants, un nouveau renard qui aboie, remue la queue et conserve le pelage tacheté et les oreilles tombantes des renardeaux est créé. Mais les aléas de la politique vont faire qu'avec la chute de l'URSS le centre spécial bâti à côté d'Akademgorodok, près de Novossibirsk en Sibérie, va manquer cruellement d'argent. Pour Lyudmila Trut, qui a travaillé aux côtés de Beliaïev et pris sa suite, c'est un déchirement de voir les renards qu'elle aime tant mourir de faim. Heureusement, sa détermination à les sauver aboutira à ce que le centre soit remis à flots grâce à des financements venant de l'étranger, notamment des Etats-Unis...



Aujourd'hui que les renards domestiques sont vendus comme animaux de compagnie, on a du mal à imaginer ce qu'en penserait Beliaïev (mort d'un cancer avant la fin de l'URSS) qui dans les années 60 a imaginé faire un chien d'un renard. Une aventure scientifique qui est aventure humaine hors du commun — magnifiquement rapportée par l'historien et biologiste américain d'origine russe, Lee Dugatkin — dont les résultats conduisent à une réflexion passionnante sur l'origine de l'homme, mais nous rappelle aussi la phrase du renard au Petit Prince : « tu deviens responsable de ce que tu as apprivoisé ».

En 1959, Dmitri Beliaïev, généticien, souhaitait étudier les processus de domestication, en les expérimentant sur le renard argenté.



Trofim Lyssenko (1898-1976) était alors très influent.

Pendant la période stalinienne, ce technicien agricole promut une théorie génétique (erronée) fondée sur les idées de l'agronome Ivan Mitchourine (1855-1935) contraires aux thèses de Gregor Mendel (1822-1884).

En URSS, la théorie chromosomique de l'hérédité dudit Mendel fut considérée comme une science 'bourgeoise' et donc interdite d'enseignement.

Jusqu'à sa disgrâce sous Nikita Khrouchtchev, Lyssenko oeuvra à éliminer les chercheurs soviétiques susceptibles de mettre en évidence son incompétence*. Ainsi, le célèbre botaniste et généticien Nikolaï Vavilov (1887-1943), mourut en prison après y avoir passé 3 ans pour s'être opposé aux théories de Lyssenko, et le frère aîné de Beliaïev fut aussi tué à cause de ses recherches…



Pour contourner l'interdit, pendant plusieurs années, Beliaïev dissimula le véritable objet de ses recherches, les présentant simplement comme un moyen d'accroître la production de fourrures de renards argentés, alors source intéressante de revenus. Il se fit notamment assister de Lyudmila Trut, co-autrice de cet ouvrage, qui poursuivit les travaux de Beliaïev après sa mort en 1985.



Voici quelques questions qui se posèrent à ces chercheurs :

- pourquoi les animaux domestiqués - dont le renard fait partie après 60 ans de travaux - présentent-ils des caractéristiques physiques et comportementales si souvent partagées par des individus de la même espèce et de diverses espèces ? à savoir notamment : tâches sur le front, néotonie (conservation de caractères juvéniles chez l'adulte), périodes de reproduction rapprochées et allongées, arrondissement et raccourcissement du museau ;

- quel est le rôle de la socialisation dans le processus de domestication ? (cause ou conséquence)

- pourquoi si peu d'espèces sont-elles domestiquées ?

- pourquoi des espèces proches d'espèces domestiques ne l'ont-elles pas été par nos ancêtres (le zèbre, le renard) ?

- quelle fut l'influence de la domestication du loup sur l'homme ?

- l'homme ne s'est-il pas auto-domestiqué ?



Le livre apporte des éléments de réponses à ces questions.

Il nous montre aussi les difficultés auxquelles la recherche scientifique peut-être confrontée lorsque des idéologies s'en mêlent.

Attention : l'intervention des idéologies n'est pas spécifique aux régimes totalitaires (ici l'URSS), ni au passé (contestation du géocentrisme par le clergé catholique jusqu'au milieu du XVIIIe siècle) mais peut concerner tous les pays et toutes les époques, comme le confirme l'influence des thèses créationnistes (chaque espèce végétale ou animale aurait été créée par Dieu, en six jours, comme écrit dans la bible) notamment aux Etats-Unis (40 % de la population y souscrirait !)...



▪️ Merci à Babelio et aux éditions Omblage, pour cet ouvrage très intéressant qui mêle l'histoire d'une recherche scientifique à l'Histoire d'un pays.

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* Cette disgrâce fut très relative puisque Khrouchtchev associa Lyssenko à la "campagne des Terres vierges" lancée en 1953 pour la mise en culture de steppes du Kazakhstan, de Sibérie et du nord Caucase.

Un scientifique russe décide en 1959 de comprendre le processus de domestication du chien. Pour cela, il choisit de produire une expérience avec des renards.



Pendant plusieurs décennies, ils vont tenter de créer une lignée d'animaux dociles, capables de devenir des animaux de compagnie afin de bien séquencer l'évolution et donc tenter de la comprendre.



Le livre restitue cette incroyable aventure avec pour point de départ des renards élevés pour leur fourrure. Ils vont être sélectionnés pour leur calme et leur rapport à l'homme.



Le lecteur découvre avec enthousiasme leur évolution et les changements morphologiques et psychologiques : apparition de tâches, oreilles tombantes, nez plus court ou encore vocalises.



Alors, qu'est-ce qui permet la domestication ? Existe-t-il des facteurs génétiques ?



Nous voyons d'une part les avancées scientifiques avec au final la cartographie du génome. Et il est intéressant de suivre les procédures scientifiques, des plus simples aux plus compliquées avec toujours l'existence de référents.



Mais c'est la théorie de la sélection déstabilisatrice qui la plus novatrice et passionnante. Elle repose sur l'idée que le nouveau milieu de vie offrant de plus grande chance de qualité de vie, les animaux eux-mêmes adaptent leurs changements.



Comment ? Par le biais d'hormones, d'apparition de nouveaux gènes mais surtout par l'activation et l'expression ou non des gènes existants ce qui explique en partie la vitesse d'adaptation constatée.



Enfin, outre la richesse du livre en raison même de la diversité des pistes tracées, il est aussi question de l'homme et de son adaptation à de nouveaux contextes.



Un livre passionnant à lire et à offrir !
Lien : http://www.nouveautes-jeunes..

découverte intéressante sur la domestication, la génétique, la confrontation de l'homme et de l'animal : le renard. J'ai bien aimé cet ouvrage, je le recommande pour la portée scientifique et l'évolution des recherches effectuées