Citations de Léon Brunschvicg (54)
Spinoza s’est consacré à la philosophie parce qu’il s’est demandé comment il devait vivre. Les hommes ont des genres de vie différents, chacun doit choisir le sien ; il s’agit de faire le choix le meilleur, et c’est là le problème que Spinoza s’est proposé de résoudre.
À travers les différentes phases de son histoire, et malgré le trouble apporté par des idées comme celle de l'infiniment petit, la mathématique avait été jusque-là conçue sur le modèle de la géométrie, et la géométrie était une science aux contours bien définis, dont les principes fondamentaux étaient simples et immuables. C'est sous cet aspect que Kant a vu les mathématiques, sous cet aspect qu'Auguste Comte les regarde encore, sous cet aspect enfin que paraissent aussi les avoir envisagées ceux des penseurs qui ont professé qu'au cours du XIXe siècle le centre de la spéculation philosophique s'était déplacé, au préjudice de la mathématique, au profit de la biologie ou de la psychologie.
Connais-tu bien l’amour, toi qui parles d’aimer ?
La vertu caractéristique de l’intelligence, dans la maturité de son âge, est de se maintenir prête à se corriger perpétuellement elle-même, en créant des moyens imprévus pour s’adapter à la complexité déconcertante d’un monde que l’homme, dans ses parties comme dans son tout, doit cesser d’imaginer à son format.
La physique date du XVIIe siècle, et c’est ce dont témoignent les deux Traités qui en fixent la méthode, comme, dans l’histoire de la prose française, les Provinciales devaient fixer le goût. Pascal a définitivement ouvert la voie royale du physicien.
Des écrits que Pascal considérait, en 1654, comme tout près de leur achèvement, un seul nous a été conservé, grâce à une copie faite pour Leibniz. Nous ne connaissons les autres que par une lettre à Étienne Perier où Leibniz en donne la description et en propose le classement. Du moins cette lettre éclaire-t-elle d’une façon très significative la méthode propre à Pascal.
Ce que nous regardions, en 1914, comme un glissement inconscient, a pris aujourd’hui l’allure d’une manœuvre précise en vue d’une sorte d’annexion posthume. Joseph de Maistre s’acharnait à la fois contre Pascal et contre Port-Royal, reconstruisant l’histoire au gré d’un tempérament injurieux, tournant le procès des Provinciales à la confusion de leur auteur. Le pragmatisme de notre temps a poussé plus loin la fantaisie romantique.
Lorsque l’homme cherche à se connaître, et par le fait même d’un tel effort, il se distingue, en tant qu’être raisonnable, des espèces animales parmi lesquelles il est physiologiquement contraint de se classer. Précoce ou tardif suivant les codes ou les Églises, l’âge de raison semble consacrer en chacun de nous l’avènement d’une valeur positive d’humanité.
Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal qui rend l’homme semblable à Dieu ; c’est toi, qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs, à l’aide d’un entendement sans règles, et d’une raison sans principe.
L’initiateur de la pensée moderne est Montaigne. Les Essais constituent un inventaire de toutes les valeurs léguées par la double tradition de l’hellénisme et du christianisme, une critique de ces valeurs au nom de l’intelligence libre et de la conscience pure. Or, ces valeurs s’effondrent, dès qu’elles sont placées, sans hypocrisie et sans arrière-pensée, en face des principes dont elles se réclament.
Indépendance et imprévisibilité ne signifient donc, à aucun moment ni à aucun degré, désordre ou arbitraire. L’a priori ne se devine pas, il se découvre. Ce quelque chose de positif qui annonce déjà l’esprit, c’est au sens étymologique du mot, le discernement.
A propos de Pascal :
De là procèdent le caractère de sa vocation, le prix de son œuvre, et il en a pleine conscience. On lit dans le manuscrit : « Il faut avoir ces trois qualités : pyrrhonien, géomètre, chrétien soumis, et elles s’accordent et se tempèrent. » Rédaction qu’il efface pour celle-ci d’un style moins subjectif : « Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison. Il y (en) a qui faillent contre ses trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connaître en démonstration ; ou en doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre ; ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger » (A 161, fr. 268, 456).
Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne
Léon BRUNSCHVICG. 1942
Croire ou vérifier, l'alternative est inéluctable.
Nous n'aurons pas expliqué le pourquoi de l'être parce que nous aurons imaginé un être sans pourquoi.
C’est une bien jolie plaisanterie que de couper le bras à quelqu’un afin de pouvoir ensuite l’accuser d’être man-chot : il importe cependant de n’en être pas trop dupe.
A quoi Descartes avoue qu’il n’a aucune peine à répondre : Ce n’est pas l’œil qui voit le miroir, pas plus qu’il ne se voit lui-même ; l’esprit seul connaît et le miroir et l’œil et soi-même . Et il n’y a peut-être pas de formule qui fasse ressortir avec plus de lucidité la connexion intime de la critique idéaliste et du spiritualisme véritable.
La sagesse par laquelle le sujet pensant se détache de son horizon terrestre pour se rendre capable de comprendre du point de vue du soleil la révolution des planètes et de coordonner par là le système des données sensibles, dévoile tout le sens de l’ homo duplex. Elle nous interdit de confondre le moi spirituel de la science avec le moi biologique de la perception, qui se fiait naïvement à son regard et prétendait expliquer les phénomènes du ciel selon leurs apparences immédiates.
Si les songes d’une même personne étaient exactement suivis et si les songes de toutes les âmes s’accordaient, on n’aurait point besoin d’autre chose pour en faire corps et matière .
Lorsque la science a commencé de substituer le soleil de la pensée au soleil de la perception, il devait être naturel de supposer que celui-là devait être donné comme celui-ci l’avait semblé jusqu’alors, chacun prétendant exister pour soi et s’opposant radicalement à l’autre.
Le soleil véritable n’est pas un globe lumineux et chaud dont les yeux témoignent qu’il est de grandeur médiocre et nous assurent qu’il se lève tous les matins pour se coucher tous les soirs ; c’est quelque chose qui défie toute représentation à l’échelle humaine, ayant un volume et une masse mesurés avec précision dans un espace qui ne se laisse pas confondre avec l’espace visible et dont la construction, dont le peuplement, sont l’œuvre des géomètres et des astronomes.