Léon Tolstoi Fils

La Vérité sur mon père

Léon Tolstoï fils



J'ai déjà dit que Léon Tolstoï fils, talentueux par ailleurs, quand il s'essaie à la fiction, ce n'est pas son truc, en revanche ici pour avoir écrit sur son père, son témoignage se révèle de première importance pour qui veut approfondir ses connaissances sur le Maître d'Iasnaïa Poliana, en particulier sur sa vie et sa pensée. J'y ai trouvé un certain nombre de choses que j'ignorais totalement, et d'autres qui tordent le cou à certaines contre-vérités qui entourent la légende du couple célèbre.. Nous disposons là d'informations de première main, et c'est précieux.



Léon Tolstoï fils fut très proche de son père pour commencer et puis il prit ses distances en ce qui concerne les idées tolstoïennes au fur et à mesure qu'elles cheminaient dans l'opinion. On en a la démonstration dans sa nouvelle le Prélude de Chopin où carrément il se heurte à son père sur la Sonate à Kreutzer, mais de manière non convaincante. Ce dernier lui fit remarquer dans une lettre ses insuffisances et son manque de modestie..



Ses essais biographiques comme ici et ses fictions sont le jour et la nuit. Léon fils est très à l'aise pour commenter non pas les petits gestes de la vie quotidiennes, d'une manière journalistique, mais pour brosser des portraits d'une vie, en les parcourant à grandes enjambées, mais leur force est la quintessence de ses commentaires. Il est en effet beaucoup plus près de son père dans ces textes. Oui on sent en première lecture qu'il est vraiment à l'aise et n'hésite pas à dire les choses, assoiffé de vérité, de justesse et de sentiment attachants envers son père qui dit-il lui a tout appris de par son immense culture. Il lui a appris aussi son équilibre de vie. Il faut dire que Léon fils a été engendré dans un berceau de littérature : né en 1869, qui marque l'achèvement de l'immense Guerre et Paix, choyé dans son enfance dorée à l'ombre de la création d'un autre chef-d'oeuvre: Anna Karénine. Il en sait gré immensément à son père. Quand il aura 12 ans, c'est à sa mère qui le devra, les Tolstoï vont d'éclipser à Moscou pendant toute la période de froid pour permettre à leurs enfants d'étudier dans les meilleures institutions de la capitale. Quand des problèmes dépressifs vont le gagner, c'est encore le père qui va user de ses relations et se démener pour soigner son fils dans les meilleures conditions. Pratiquement à l'article de la mort, Léon fils sera sauvé, peut-être aussi grâce à la belle et toute jeune Dora, suédoise bien née, qu'il va rencontrer au cours d'un traitement : il en fera sa femme. Et le père Tolstoï sera alors très fier de son fils, comme la belle Dora sera très honorée d'entrer dans la maison des Tolstoï, mais elle trouvera exactement dans les mêmes conditions que sa belle-mère Sophie qui avait eu du mal dans un premier temps, quelques décades plus tôt à s'acclimater à la rudesse de la vie campagnarde..



Cette Vérité sur son père qui date de 1922, hormis le côté attachant, est très agréable à lire, une vraie poésie s'attache à chaque page, et on peut dire que le fils a bien tenu compte des leçons de son père en matière de littérature qui lui furent prodiguées fin 19 e siècle.



J'y joins quelques extraits du livre qui illustrent mes propos ..

Bon Léon c'est le fils écrivain, bon il fait ce qu'il peut dans l'ombre gigantesque de son père et ma foi se débrouille pas trop mal et dont j'imagine le dessein et la place pas à la hauteur de ses espérances.



Quand des tiraillements sont arrivés au sein de la famille, sans vraiment vouloir en faire tout un plat encore une fois et que c'est finalement Sophie sa mère qui sera le dindon de la farce là dedans, il prendra le parti de sa mère ; et quand celle-ci réagira à la Sonate à Kreutzer, le fils Léon réagira de concert, mais sur ce dernier point je pense qu'ils n'avaient pas complètement raison contre le père Léon qui faisait flèche de tout bois en tant que littéraire doué et qui savait pertinemment les limites et l'inertie des hommes au regard des idées originales qu'il proposait.



Léon Tolstoï fils voulait faire médecine mais Tolstoï père le dissuada car il considérait les médecins comme des charlatans, Tolstoï fils épousera une belle suédoise fille de médecin .. Et la femme de Tolstoï père était fille de médecin à la cour impériale.., et il s'était adjoint les pleins services d'un médecin, tolstoïen, pour l'accompagner dans les dernières années de sa vie ! .

Je relève cette contradiction car je la trouve amusante !



C'est un livre bien écrit dans lequel en fait ce fils Léon raconte sa vérité eu égard à son père. Il est tour à tour respectueux, attachant et sincère. Si on veut avoir un regard original, nouveau, agréable à lire sur la vie et l'oeuvre de son père, il convient de lire ce livre.

Une controverse familiale



Lorsque Léon Tolstoï publie la sonate à Kreutzer en 1889, il est un écrivain reconnu, auréolé du succès d’Anna Karénine et Guerre et Paix.



Ce nouveau texte fera, lui, l’objet d’une incroyable controverse et non des moindres :

et c’est ainsi qu’en réponse au texte de Tolstoï, sa femme et l’un de ses fils vont écrire un roman.



Mais pourquoi une telle controverse ?



Pour le comprendre, il faut se pencher sur la Sonate à Kreutzer. Ce roman narre comment, à l’occasion d’un voyage en train, un homme écoute le récit de son compagnon de voyage Pozdnychev, qui a tué sa femme qu’il accusait de tromperie. Ce récit d’un homme qui semble aux confins de la folie, a été pour beaucoup l’écho des pensées de l’auteur sur le mariage et les relations conjugales. Afin d’expliciter sa pensée, Tolstoï publia une postface au récit. Pour résumer grossièrement, il prône l’abstinence comme idéal de vie à atteindre dans la vie.



Mais, pour sa femme : «  À quoi bon chercher auprès des autres ce que j’ai éprouvé dans mon cœur : cette nouvelle était dirigée contre moi, elle m’a blessée et humiliée aux yeux de tous et elle a détruit le peu d’amour qui subsistait entre nous » et oui, c’est le moment de préciser que la vie de couple des Tolstoï fut loin d’être un fleuve tranquille.



C’est ainsi que sa femme décida de rédiger un roman en réponse à son mari, À qui la faute. Dans celui-ci, on retrouve une femme qui sera tuée par son mari jaloux alors qu’elle n’e l’a pas trompé. Elle reprend de nombreux éléments de la sonate à Kreutzer mais aussi de sa vie de couple offrant dans cette fiction une vision de sa vie conjugale. Elle déplore les appétits charnels de son mari qui semble peu se soucier de jouer d’une union spirituelle entre eux. Elle continuera de développer sa vision dans un autre roman, que l’on retrouve également ici: Romance sans paroles.



On aurait pu s’arrêter là dans le règlement de compte familial mais c’était sans compter sur le fils Léon Tolstoï qui décide dans un court récit de développer sa théorie en opposition à celle de son père : pour lui, il faut se marier tôt pour éviter la tentation. Il célèbre également une union monogame pour éviter la débauche.



Je ne peux que saluer les éditions des Syrtes pour avoir réuni ces quatre récits dans un seul livre. Je conseille de les lire les uns à la suite des autres. Ils se répondent et sont en miroir, en lire un permet de mieux comprendre les autres. Ils offrent une plongée incroyablement intime dans la vie d’un grand auteur et de sa famille.



Même si littérairement parlant, tous les textes ne sont pas au même niveau, j’ai aimé cette incroyable controverse familiale littéraire.



Alors si vous aimez la littérature russe, les livres sur le mariage et le lien conjugal ou les potins, foncez ce livre est fait pour vous !