Léon Vérane (1886-1954)
Les livres de quelques poètes,
Une pipe, un flacon poudreux
M'ont suffi pour changer en fête
D'humbles jours sous de calmes cieux.
(Une plaque dans l'herbe
Au Square des Poètes,
Paris 16ème)
CERF EN AUTOMNE
Ce matin où nul cor ne corne
Aux forêts d'or mort décorées
L'automne somptueux et morne
A toutes feuilles essorées.
Et, la perspective dorée
Toute en la courbe de ses cornes,
Le cerf apparaît à l'orée
De la solitude qu'il orne.
'
(Le livre des Passe-Temps)
BAR
Parmi les nickels et les glaces
De ce bar où l’alcool est roi,
Pauvre homme tu caches ta face
Sous la grille de tes dix doigts.
Une liqueur flambe et rutile
Dans ton verre et son parfum dur
Evoque de lointaines îles
Incrustant une mer d’azur.
Mais que t’importent les Antilles,
Leurs lianes et leurs palmiers
Et le morne où de rouges filles
S’éventent sous les girofliers?
Autre que les buveurs vulgaires,
Toi, tu n’accoudes au comptoir,
Parmi les flacons et les verres,
Que le poids de ton désespoir.
Et nulle ivresse ne peut faire
Que s’efface enfin de tes yeux
Ce corps souple et blanc dont s’éclaire
Le divan aux coussins soyeux,
Ce corps où tu voudrais inscrire,
À la fois martyr et bourreau,
Et ta détresse et ton délire
Avec la pointe du couteau.
Matin
Un vent léger
Fait frissonner
Et s'égoutter dans le matin
Les balsamines mauves
Les sauges pourpres
De mon jardin.
Une longue ligne blanchoie à l'horizon
Des brouillards gris s'accrochent
Et s'effilochent
Comme de la laine
Aux peupliers de l'allée
Je suis seul
Sur la margelle du puits.
Les pigeons gris
Commencent à tourner
Et à se poser
Aux ardoises du toit,
Et j'entends dans la cour
Sion le valet
Qui accouple les bœufs
Pour le labour.