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Citation de matotaku


Il avait honte, en pensant à ce que cela signifiait pour l'idéal socialiste, de savoir qu'après l'invasion de la Pologne, Staline y imposait l'ordre soviétique avec la même fureur que Hitler exportait l'idéologie fasciste. Cette grossière application du modèle soviétique à la Pologne et à l'Ukraine occidentale entraînerait la démoralisation des ouvriers européens devant l'opportunisme politique du stalinisme. Quant aux habitants des régions envahies, victimes historiques des empires russes et germaniques, ils avaient déjà dû se demander quelle était la différence entre les deux envahisseurs, et Lev Davidovitch ne serait pas étonné de voir bientôt la plupart de ces peuples en arriver à considérer les nazis comme leurs libérateurs du joug stalinien.
Même aisni, Lev Davidovitch était accablé par le poids de la contradiction : jusqu'à quel point était-il possible de s'opposer au stalinisme sans cesser de défendre l'URSS ? Il se tourmentait, ne discernant pas vraiment si la bureaucratie était déjà une nouvelle classe, enfantée par la Révolution ou seulement une excroissance comme il l'avait toujours pensé. Il avait besoin de se convaincre qu'il était encore possible de marquer une différence qualitative entre le fascisme et le stalinisme pour tenter de démontrer à tous les hommes sincères, anéantis par les coups bas de la bureaucratie thermidorienne, que l'URSS conservait l'essence ultime de la Révolution et que cette essence devait être défendue et préservée. Mais si, comme le disaient certains, vaincus par les évidences, la classe ouvrière avait montré dans l'expérience russe sont incapacité à se gouverner elle-même, alors il faudrait admettre que la conception marxiste de la société et du socialisme était erronée. Cette possibilité le confrontait au coeur du terrible problème : le marxisme n'était-il qu'une simple "idéologie" de plus, une sorte de fausse conscience qui menait les classes opprimées et leurs partis à croire qu'ils se battaient pour leurs propres objectifs, quand en réalité ils servaient les intérêts d'une nouvelle classe dirigeante ?... Le seul fait d'y penser lui infligeait une souffrance intense : la victoire de Staline et son régime se dresseraient comme le triomphe de la réalité sur l'espoir philosophique, comme un acte véritable de la stagnation historique. Beaucoup, dont lui, se verraient obligés de reconnaître qu'il ne fallait pas chercher les racines du stalinisme dans le retard de la Russie ni dans l'hostilité impérialiste ambiante, comme on l'avait dit, mais dans l'incapacité du prolétariat à devenir une classe gouvernante. Il faudrait admettre aussi que l'URSS n'avait été que le pays précurseur d'un nouveau système d'exploitation et que sa structure politique devait inévitablement engendrer une nouvelle dictature, parée tout au plus d'une autre rhétorique.
Mais l'exilé savait qu'il ne pouvait changer sa façon de voir le monde et de concevoir la lutte. C'est pourquoi il ne se lassera pas d'exhorter les hommes de bonne foi à demeurer aux côtés des exploités, même si l'histoire et les nécessités scientifiques semblaient être contre eux. À bas la science, à bas l'histoire ! S'il le faut, on doit les recréer ! écrivit-il : de toute façon, je resterai du côté de Spartacus, jamais des Césars, et en dépit de la science, je continue à affirmer ma confiance dans la capacité des masses travailleuses à se libérer du joug capitaliste, qui a vu ces masses en action sait que c'est possible. Les erreurs de Lénine, les miennes, celle du parti bolchevik, qui ont permis la déformation de l'utopie, ne devraient jamais être attribuées aux travailleurs. Non, jamais, il en resterait persuadé.
Page 454-455 de l'édition grand format de Métaillé (janvier 2011)
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