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Né(e) : 1941
Biographie :

Les Lettres françaises sont une publication littéraire créée en France, en 1941, pendant l'Occupation, par Jacques Decour et Jean Paulhan. C'est l'une des nombreuses publications du mouvement de résistance Front national. Il s'agissait alors d'une publication clandestine bénéficiant entre autres de la collaboration de Louis Aragon, François Mauriac, Claude Morgan, Edith Thomas, Georges Limbour, Raymond Queneau et Jean Lescure.

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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Les Lettres françaises
Jean Ristat : La fête à Venise est un roman. Il me semble qu’à partir de ce dernier livre publié on peut relire tous les ouvrages qui l’ont précédé, le Coeur absolu, le Lys d’or, les Folies françaises, Portrait du joueur, Femmes, les Surprises de Fragonard, le tout formant un ensemble cohérent, une entreprise ambitieuse : le roman comme encyclopédie et arche de Noé. Je reprends votre définition.
Le roman comme encyclopédie puisqu’il faut sauver, conserver, stocker, en attendant des jours meilleurs. Nous vivons un temps de barbarie, de régression. La littérature de notre époque, dites-vous, est à peu près nulle et la peinture d’une "laideur et d’une vulgarité qui sautent aux yeux". Bon, je dirais qu’il y a trois personnages dans votre livre : l’écrivain, le peintre, la femme. L’écrivain prend plusieurs figures ou masques : Stendhal par exemple. Le peintre s’appelle Watteau autour duquel se construit la fiction, mais aussi Monet ou Warhol. La jeune femme est "savante" : elle s’occupe d’astrophysique, littérature, peinture, sciences. Parlons de la peinture, pour commencer, je note cette phrase "la peinture dit la vérité". Cela mérite explication comme l’idée que la peinture a un chiffre. Pas seulement au sens du "business" mais aussi comme on dit d’une lettre ou d’un message qu’il est chiffré. Le W de Watteau — ou de Warhol — est une clef à l’aide de laquelle vous lisez, "déchiffrez" la société contemporaine.

Philippe Sollers : Je pars d’un constat : depuis une dizaine d’années, au grand jour, avec une brutalité toute puissante, la peinture est transformée en valeur spéculative et en bourse quasiment parallèle, permanente. Ceci n’a pas toujours été le cas. Sans remonter à l’époque classique où les transactions s’opèrent entre les peintres, les empereurs et l’église (voyez Le Titien), on peut considérer que, toujours, les peintres ont réussi à introduire leur chiffre, quelle que soit la commande, quel que soit le sujet (les Ménines de Velasquez ou la Vénus au miroir par exemple). Comme disait Lacan, en revenant d’Italie, "Toutes ces églises, ah quelle débauche d’obscénités" !
Cette situation de l’oeuvre d’art qui devient un objet susceptible de transactions, susceptible d’entrer dans une rotation par rapport à la plus-value généralisée, prend toute son ampleur au XXe siècle. Ce système, j’ai essayé de le décrire dans la Fête à Venise. Les ventes crépitent sans discontinuer. A la limite, le tableau ne bouge pas. Le prix monte sur place. Voyez ce qui s’est passé avec les Iris de Van Gogh ! Dans cet énorme marché mondial, de plus en plus, prédominent les vols, les falsifications, les opérations de commando, le pillage... Nous ne connaissons encore qu’une toute petite partie de l’iceberg, à la faveur, de temps en temps et presque par hasard, d’une affaire : une vieille dame meurt, sans nourriture et sans soin. On s’aperçoit alors que son Murillo a fait l’objet de tractations très étranges. Ou bien encore, un commissaire de police, une femme charmante au demeurant, doit passer par la mafia japonaise pour récupérer des Corot. On apprend ensuite qu’elle tombe sur une filière dont nous ne saurons rien pour y découvrir le tableau qui a donné son nom à l’Impressionnisme Impressions au soleil levant de C. Monet. Tout cela est un spectacle dont nous n’entrevoyons qu’une toute petite partie.
Je suis parti, pour écrire ce roman, la Fête à Venise, de ce constat. J’estime qu’il est inutile et démissionnaire d’écrire de la littérature qui n’a rien à voir avec la réalité sociale de son époque. Le chiffre de la peinture étonne tout le monde parce que la moindre bricole est achetée dix, quinze, voire cinquante fois plus que son estimation sur le marché. Ce chiffre de la peinture m’intrigue parce que cet emballement veut dire quelque chose : j’emploierai donc pour en parler les termes forts d’usage (valeur d’usage, valeur d’échange). Je pense que, désormais, la valeur d’usage est prohibée partout. Elle est en cours d’interdiction, d’expropriation physique, cela va se porter sur tout le dépôt signifiant, le dépôt de jouissance accumulé au cours des âges. Un tableau réussi ça jouit, mais de quoi ? Comment ? Interdiction d’en parler. C’est là qu’on voit se tisser la tyrannie nouvelle. Un corps qui aurait persisté à avoir l’usage de soi-même est désormais intrinsèquement suspect. Un corps qui voudrait subsister dans la conscience de soi et la gratuité de son existence ne peut être désormais que profondément suspect. De proche en proche, ceci s’entend à travers le fait que les corps sont maintenant artificiellement reproductibles, comme chacun sait. Il n’y a qu’à, pour s’en convaincre, lire les appels incessants d’Antonin Artaud sur ce thème, après la deuxième guerre mondiale.
Une grande partie de ce que j’avance ici a été théorisé dans les Commentaires sur la Société du Spectacle de Guy Debord, paru en 1988. Tout le reste ne me parait être que du bavardage obscurantiste. Les philosophies qu’on essaie de nous revendre à bas prix sont des philosophies non critiques, servant les nouveaux maîtres dans la remise au pas des esclaves à laquelle nous assistons.

La valeur d’échange est devenue le condottiere qui mène le combat pour soi seul, en ayant rompu avec l’usage, comme jamais en cette fin de siècle.

Cette image est de Marx, le merveilleux Marx dont on ne dira jamais assez à quel point personne ou presque ne l’a jamais lu, surtout pas les Français, ce Marx dont Althusser réclamait la lecture sans arriver lui même à s’en faire une idée claire. Il faudrait rompre en profondeur avec le stalinisme, ce qui n’a pas été fait. On croit liquider Marx en voyant, s’effondrer le stalinisme : c’est trop commode, il n’en est pas ainsi. Je veux dire par là que nous manquons, y compris à travers la fiction, de cette possibilité ironique et enjouée qui anime les grandes critiques de l’apparence des choses. Pour cette raison de non critique généralisée la peinture se voit aujourd’hui confisquée sans résistance. Le geste créateur est stérilisé à priori, sous l’avalanche d’un art populiste qu’on appelle au gré des modes "moderniste, et post-moderniste, avant-gardiste, et post-gardiste etc".
Tout le monde participe à cette normalisation et personne n’a l’air de s’en préoccuper beaucoup. Il y a donc une complicité qui va des commissaires-priseurs aux peintres eux-mêmes, en passant par les galeries, l’industrie secondaire ou parallèle qui vivote, mais dans quel but ? Dans un but à mon avis de plus en plus analphabétisant. Personne n’est plus capable de savoir comment fonctionne réellement, dans son geste intérieur, la peinture et surtout dans les arts classiques... L’ignorance est de plus en plus propagée et enseignée, si j’ose dire, et il en va de même pour la littérature. L’écrivain qui se dit marginal est lui-même prévu au programme de l’insignifiance des choses et moi, je préférerais que l’écrivain fut encore capable de raisonner. De raisonner évidemment en musique, de raisonner avec la technique — rhétorique qui semble perdue. La seule littérature qui m’intéresse — je ne la vois pas venir et je l’appelle cependant de mes voeux — serait une littérature critique et raisonnante. Raisonnante et résonnante. Dans la Fête à Venise il me semble qu’il est impossible de ne pas sentir que là est l’enjeu passionné.
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Les Lettres françaises
J. R. : Mais qui lit vraiment aujourd’hui ?

Ph. S. : Je trouve symptomatique que nous soyons dans un moment où il est possible à quiconque se lève un peu tôt et réfléchit d’écrire exactement ce qu’il veut — et que ce soit précisément à ce moment là que tout se passe comme si cela n’était plus possible. On s’aperçoit ensuite que, même si cela est possible, ce ne sera pas lu.

Et voilà une des raisons par exemple, pour laquelle un écrivain comme Sade peut être publié en Pléiade. Le texte est là, mais personne ne peut s’en saisir. Car, autrement, pourquoi ne pas en lire des extraits au journal télévisé de 20 heures, à la radio pendant la journée ? On pourrait en reproduire de longs passages, puisque c’est un classique, à la une des journaux et par exemple dans le vôtre, les Lettres Françaises, en gros caractères, des passages entiers des 120 journées de Sodome. Eh bien, allez donc vous amuser à faire cela !
Vous verrez que c’est très difficile et même impossible. Par conséquent, il n’y a plus de problème à éditer puisque, comme je le disais tout à l’heure, la société elle-même censure, est elle-même, toute entière, une censure en acte et qu’elle sait en fait que personne ne lira le livre. Et probablement pour longtemps, dans la mesure où une sorte de lésion organique est en train de devenir irréversible. Je ne fais pas du sentiment mais de la clinique.
Il y a lieu de se demander, et je vois la chose se faire tous les jours, si des lecteurs dont c’est la fonction, le métier, la responsabilité, existent encore.
On peut même se demander si les signes typographiques assemblés clairement vont encore produire du sens dans le cerveau.
La question me semble le comble de la réalité et elle n’est que le pendant sur le terrain de la littérature de ce que je dis sur la peinture. A savoir que l’on pourrait remplacer par exemple tous les tableaux dans les musées par des reproductions perfectionnées, allemandes ou japonaises. Personne n’aurait le temps de voir si c’est bien là, devant ses yeux, un original ou une copie. Les gens qui vont dans les musées n’y voient que du feu. On les fait défiler dans le désir du Maître qui a dit qu’il fallait absolument admirer l’art. Quel art ? Que dirait cet art ?


J. R. : Cette remarque me fait penser à ce passage de la Fête à Venise "Nous avons été voir les peintures, le Maître n’arrête pas de nous dire qu’elles sont très précieuses, il va être content. Certains d’entre nous ont même fait l’effort particulier d’acheter un livre que, d’ailleurs, ils ne liront jamais, faute de temps. Ouf, à table. Télévision".

Ph. S. : Pour comprendre un Van Gogh, par exemple, il faut être capable de comprendre le sens du livre qu’Artaud lui a consacré. Vous pouvez vérifier : ce n’est plus jamais le cas si même ce le fût un jour.
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