Le paysage était autant affaire de temps que de lieu. Le passé en faisait plus partie que la couverture d'arbres et d'herbes posée comme un cache par-dessus.
Formé à l'école de la terre, il savait comment les choses fonctionnaient. Il savait aussi charger un fusil à la poussière d'or et cribler les parois de mines peu rentables avant d'en revendre les actions. Mais ça, c'était de l'histoire ancienne. Un homme respectable ne procédait plus ainsi.
En parlant du marécage.
Des troupeaux de vaches entiers y avaient été engloutis. Il avait entendu dire que personne ne connaissait son étendue dans son entier, que ses limites se déplaçaient constamment, coulant vers le sud pour y engloutir les clôtures. (...) Le marais absorbait l'eau comme une éponge. Les aborigènes, avait-il entendu dire, évitaient autrefois soigneusement ses rives.
A minuit, la lumière avait complètement disparu et la baie était noire. Dans l'obscurité, les bancs de vase se déplaçaient avec lourdeur. Ils se redisposaient, plaçant des chenaux dans de nouvelles directions et modifiant la ligne du rivage. D'ici le lendemain, les Français auraient besoin de nouvelles cartes.
Il est tellement borné, dit Louise, tellement pénétré de son importance.
- Il a toujours été comme ça.
- Je croyais qu'il valait mieux que ça. il ne revient jamais sur le passé, ne réfléchit jamais, ne s'interroge jamais sur sa vie. dès que la journée est finie, il tire un trait dessus. Avant, je te reprochais de t'apesantir sur le passé.
- Et maintenant ? demanda Judith.
- L'important, ce n'est pas le passé, c'est le souvenir. Il faut se le remémorer. A chaque fois qu'on s'en souvient, on en fait autre chose. Maintenant, je comprends ça. Et c'est ce qu'il est incapable de faire. Il a peur que le passé ait davantage à offrir que l'avenir, et du coup il le balaie comme s'il ne servait à rien.