AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Hoarau-Loana


Face à sa cible, il se fond dans le décor. Par-dessous le buisson, il a une vision parfaite. Observe d’un œil attentif le jardinet et sa grande cour attenante, brodée d’un parterre de sable jaunâtre.Le grand cerisier et sa balançoire, îlot central qui donne le ton. La mezzanine qui s’étend d’un bout à l’autre de la grande maison est déserte. Se pare de feuilles d’or la terrasse de bois, le petit potager à l’abandon.
Lussi est là, assise sur la balançoire sommaire, fredonnant avec maladresse un air qu’elle a entendu l’instant d’avant à la télévision. Elle a une expression maladive, boiteuse, tout son corps resplendit d’une fragilité qui accentue son innocence. Elle est dans sa sphère et son auditoire muet,invisible, se nourrit de son chant dissonant. Sa rousseur tournoie au temps venteux. L’œil énigmatique,impérieux, s’octroie d’une humble malice. Elle laisse zigzaguer entre ses doigts enfantins une petite fourmi. A cet âge là, on s’amuse avec virtuosité d’un rien.
Ah, maudite gamine ! Elle aussi elle deviendra comme tous les autres !
L’enfant lève brusquement la tête lorsqu’elle entend un bruissement rebondir sur les cailloux. Elle descend de sa balançoire, attentivement regarde sur le côté. Peut-être est-ce le chat secoué de la voisine qui se serait encore fait prendre dans les filets du buisson. Elle s’avance, se penche en dessous. Passe une main distraite, sans réfléchir. Éclaboussante erreur.
En une seconde, elle distingue une longue entaille sur une gorge musclée qui se dissimule sous un tatouage vermillon. Et des yeux d’un bleu intense, perçants, exagérés.
“C’est ton jour, Pomme d’Amour.”
Une main calleuse l’attire derrière le buisson, d’une rusticité affligeante l’assomme de moitié en la bousculant sur le sol.
Un battement de cœur. Une seconde.
Elle recule d’épouvante, désorientée, mais la poigne énergique de son bourreau évite qu’elle ne dérape ou ne fuit. Elle se retrouve soulevée et jetée avec fermeté dans le coffre d’un classieux véhicule gris. Repliée, tentant de protéger son visage de ses mains égratignées, elle voit venir l’obscurité
parasite.
L’espace est étroit, branlant, inconfortable, linoléum gluant, cercueil précaire. Sa respiration tourmentée se mêle au bruit d’un moteur sourd. Dans un excès de folie qu’elle ne maîtrise pas elle tente bien de se redresser mais sent la carrosserie du coffre se fracasser sur sa tête. Sans grande conviction elle essaie de soulever le capot, tout d’abord timidement, puis avec hargne. Or ballottée, secouée de toutes parts, elle comprend que ses efforts seront stériles. Quoi qu’elle fasse, la tôle reste obstinément fermée. Elle est dans un tel état d’abrutissement qu’elle ne se rend pas compte qu’elle
frappe dans le vide effrayant.
Une sensation de vitesse intense l’envahit. Les bosses, crevasses, malformations de la route la bousculent, l’agitent avec ferveur. Réflexe instinctif, elle tâtonne le linoléum verminé en quête d’un objet contondant afin de se défendre face à l’agresseur futur. Ne trouve rien qui aurait pu la protéger.
Par vagues, les bribes sauvages du moteur l’englobent. Cet effet sonore sous la carlingue la berce, lorsqu’une crevasse plus profonde que les autres la pousse avec virulence contre la carrosserie et l’assomme de moitié. Elle ne lutte plus face à cette nouvelle attaque et se laisse secouer tel un
pantin.
Déliquescence de son cerveau.
Abasourdie par cette trop lourde révélation, elle s’est laissée tomber dans une chute molle.
Le bitume glacial l’avait cogné en silence.
Tout est faux, inutile, secondaire. Injuste, mais normal.
Au-dessus d’elle dansent les étoiles.
Commenter  J’apprécie          60





Ont apprécié cette citation (5)voir plus




{* *}