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3.97/5 (sur 313 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Haute-Savoie , 1977
Biographie :

Loana Hoarau est écrivaine et scénariste.

Auteure depuis plus de vingt ans, ses romans et scénarios sont basés uniquement sur le drame psychologique, le réalisme et l’horreur.

Elle vit à Belfort en Franche Comté et travaille dans l’animation à la cantine scolaire, le périscolaire et l’aide aux devoirs. Elle a aussi donné des cours de lecture à des enfants de CP.

son blog : http://loanahoarauauteure.over-blog.com/
page Facebook : https://www.facebook.com/HoarauLoana

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Bibliographie de Loana Hoarau   (14)Voir plus

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Citations et extraits (82) Voir plus Ajouter une citation
Face à sa cible, il se fond dans le décor. Par-dessous le buisson, il a une vision parfaite. Observe d’un œil attentif le jardinet et sa grande cour attenante, brodée d’un parterre de sable jaunâtre.Le grand cerisier et sa balançoire, îlot central qui donne le ton. La mezzanine qui s’étend d’un bout à l’autre de la grande maison est déserte. Se pare de feuilles d’or la terrasse de bois, le petit potager à l’abandon.
Lussi est là, assise sur la balançoire sommaire, fredonnant avec maladresse un air qu’elle a entendu l’instant d’avant à la télévision. Elle a une expression maladive, boiteuse, tout son corps resplendit d’une fragilité qui accentue son innocence. Elle est dans sa sphère et son auditoire muet,invisible, se nourrit de son chant dissonant. Sa rousseur tournoie au temps venteux. L’œil énigmatique,impérieux, s’octroie d’une humble malice. Elle laisse zigzaguer entre ses doigts enfantins une petite fourmi. A cet âge là, on s’amuse avec virtuosité d’un rien.
Ah, maudite gamine ! Elle aussi elle deviendra comme tous les autres !
L’enfant lève brusquement la tête lorsqu’elle entend un bruissement rebondir sur les cailloux. Elle descend de sa balançoire, attentivement regarde sur le côté. Peut-être est-ce le chat secoué de la voisine qui se serait encore fait prendre dans les filets du buisson. Elle s’avance, se penche en dessous. Passe une main distraite, sans réfléchir. Éclaboussante erreur.
En une seconde, elle distingue une longue entaille sur une gorge musclée qui se dissimule sous un tatouage vermillon. Et des yeux d’un bleu intense, perçants, exagérés.
“C’est ton jour, Pomme d’Amour.”
Une main calleuse l’attire derrière le buisson, d’une rusticité affligeante l’assomme de moitié en la bousculant sur le sol.
Un battement de cœur. Une seconde.
Elle recule d’épouvante, désorientée, mais la poigne énergique de son bourreau évite qu’elle ne dérape ou ne fuit. Elle se retrouve soulevée et jetée avec fermeté dans le coffre d’un classieux véhicule gris. Repliée, tentant de protéger son visage de ses mains égratignées, elle voit venir l’obscurité
parasite.
L’espace est étroit, branlant, inconfortable, linoléum gluant, cercueil précaire. Sa respiration tourmentée se mêle au bruit d’un moteur sourd. Dans un excès de folie qu’elle ne maîtrise pas elle tente bien de se redresser mais sent la carrosserie du coffre se fracasser sur sa tête. Sans grande conviction elle essaie de soulever le capot, tout d’abord timidement, puis avec hargne. Or ballottée, secouée de toutes parts, elle comprend que ses efforts seront stériles. Quoi qu’elle fasse, la tôle reste obstinément fermée. Elle est dans un tel état d’abrutissement qu’elle ne se rend pas compte qu’elle
frappe dans le vide effrayant.
Une sensation de vitesse intense l’envahit. Les bosses, crevasses, malformations de la route la bousculent, l’agitent avec ferveur. Réflexe instinctif, elle tâtonne le linoléum verminé en quête d’un objet contondant afin de se défendre face à l’agresseur futur. Ne trouve rien qui aurait pu la protéger.
Par vagues, les bribes sauvages du moteur l’englobent. Cet effet sonore sous la carlingue la berce, lorsqu’une crevasse plus profonde que les autres la pousse avec virulence contre la carrosserie et l’assomme de moitié. Elle ne lutte plus face à cette nouvelle attaque et se laisse secouer tel un
pantin.
Déliquescence de son cerveau.
Abasourdie par cette trop lourde révélation, elle s’est laissée tomber dans une chute molle.
Le bitume glacial l’avait cogné en silence.
Tout est faux, inutile, secondaire. Injuste, mais normal.
Au-dessus d’elle dansent les étoiles.
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Je me jure de ne jamais finir vieux. Et de ne pas m'attacher aux autres. Je préfère prendre, détruire, et vite passer à autre chose. Il n'y a que comme ça que l'on s'en sort. Une vie de misère et de stress, très peu pour moi.
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Un jour peut-être... comprendra que je ne cherche pas à lui causer du mal, mais que tout ce que je lui fais subir est pour mon bien !"
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Je me fais un troisième rail. Vais prendre une nouvelle murge. Je suis encore conscient à ce moment-là. Je suis juste moins réactif. J’envoie balader un gars qui veut une clope. Trou noir. Je m’endors deux secondes au volant, puis me reprends sous le klaxon de la voiture d’en face.

Je sais pas comment j’ai fais pour arriver jusqu’à ma piaule. À moitié bouffé je descends jusqu’à la sous-cave. D’habitude, je préfère monter à l’étage et regarder sur mon écran si mes petites souris sont restées bien sages en mon absence. Mais j’ai envie d’aller voir Éli cette nuit. Effet euphorisant de l’héroïne.

Je dévale les escaliers, une bouteille de vodka à la main. Je vois Éli qui tangue. Elle s’est réveillée d’un coup, s’est redressée, puis s’est recroquevillée au bout du lit en me fixant du regard, tremblante. La poudre brune se marre, se colle à mon oreille et me susurre des mots doux. La poudre brune est toujours là quand il faut pas.

« Vas-y, prends-la. Elle est à toi. Rien qu’à toi.

— C’est pas le moment. Pas encore.

— Elle est là pour ça. C’est ce que tu voulais, non ?

— Elle n’est pas prête je te dis.

— Bien sûr qu’elle est prête. Regarde-la. Elle te veux. Elle n’attend que ça. Regarde comme elle te sourit. Comme elle te provoque. Tu sais quoi ? Tu vas juste l’embrasser. Et la caresser aussi. Rien de très méchant. Elle va aimer ça, crois-moi. Elle pourra plus te résister après quelques caresses. Pourquoi tu hésites ? T’as envie d’elle. Je vois bien que t’as envie d’elle. »

Elle a raison. La poudre a toujours raison. Sans vraiment le vouloir, mes yeux sont déjà en train de déshabiller Éli. De la frapper, de la prendre de force. C’est pas ma faute. Ces petites garces qui se pavanent devant moi, comme ça, leur sourire attrayant, leurs yeux brillants qui me promettent leur lune, leur voix juvéniles qui réclament mon corps, ce sont elles qui me cherchent. Et moi qui ne peux pas résister à

c’est pas

de jolies friandises derrière leurs

ma faute

vitres de fin cristal.

Ma tête tourne encore. La poudre me pousse du coude vers le lit. J’humecte mes lèvres trop sèches par la vodka.

« Je vais juste discuter un peu avec elle, dis-je sans conviction.

— Ouais, c’est ça, ricane ma brune, va discuter avec elle mon pote. C’est un bon début. »
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Par contre , ils l'ont dit qu'il n'y avait qu'une seule chose que je n'ai pas le droit de faire, c'est de toucher au visage du client. Il fait que mon Gugusse puisse reprendre une vie normale et tout discrétion.
Une vie normale euhhhhh je veux bien mais j'ai des doutes (ma petite parenthese!!!!)
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4ème de couverture :
Je suis entré. J'ai attendu vers l'entrée, puis je me suis dirigé lentement vers le bureau d'accueil. La personne derrière, une femme blonde, les cheveux courts, tapait sur son clavier d'ordinateur, et ne m'a pas regardé. Elle a seulement dit "C'est pour quoi ?" J'ai dit que je venais déposer une plainte. Elle a dit "De quel genre ?" J'ai dit Une plainte pour des coups et blessures. Elle a continué à m'ignorer. J'ai dit "Et aussi pour viol". La personne à l'accueil ne m'a regardé qu'une fois après avoir dit « pour viol ». Elle m'a fait répéter, comme si elle entendait ça pour la première fois, de la bouche d'un homme.

Elle a eu un petit sourire, d'un quart de seconde. Comme si c'était un réflexe. Comme si ce n'était pas normal. Je pense qu'elle l'a regretté de suite, et qu'elle s'en est voulue, parce que que c'est là qu'elle a vu mon visage pour la première fois, un visage mordu par les privations et des douleurs. Elle s'est levée, elle a vu mon corps décharné. Elle m'a encore fait répéter, pour être bien sûre "Vous dites pour viol ?" j'ai opiné du chef. Elle a continué "Vous savez qui est votre agresseur ?" J'ai encore opiné et j'ai lâché le morceau "C'est mon frère.

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Dans une famille ou tout semble aller bien , Lauri le plus jeune des 2 garçons , subit quelques abus de son frère Neil plus vieux de 8 ans ....Au début il pense que ce n'est rien de grave ,mais au fil du temps ,celui - ci devient de plus en plus violent et prend son petit frère comme objet sexuel et au départ du père cela empire ...
Au fil de son journal intime , nous découvrons les violences quotidiennes autant envers lui qu'avec sa mère ... Lauri devient le souffre douleur se son frère , mais s'y habitue ....
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Terminé tôt ce matin, BUCZKO de Loana Hoarau. Une mise en garde, âme sensible s’abstenir ! comment expliquer sans spoiler ? s’agissant d’un epub, je n’ai pas de 4e de couverture et la note de l’éditeur dévoile, un peu trop, le livre. Le narrateur est BUCZKO à la personnalité complexe et perverse ; commis boulanger (bien sous tous les rapports) qui excelle dans la dissimulation d’un côté et de l’autre, le prédateur, personnage psychotique et drogué. C’est le récit glaçant de ses perversions, qu’il n’hésite pas à mettre en œuvre…. L’auteur place d’emblée, le lecteur dans la tête de ce monstre à la personnalité très très complexe… Personnellement, j’ai trouvé le livre bien écrit, bien structuré et objectivement, je lirai « Les mathématiques du chaos » et « soleil à Vazec » de cette auteur qui sont déjà dans ma liseuse. Le livre de Loana Hoarau est dur, insoutenable, mais ce n’est pas un livre gore, il n’y a pas de surenchère inutile, les faits sont cruels, relatés sans parti pris, simplement il traite d’un sujet sensible.
Ce livre ne peut pas laisser indifférent... même si le personnage principal est inhumain, il y a une ambiguïté terrible, difficile à analyser... on arrive presque à "justifier" ses actes, compte tenu de son vécu et cela met, la lectrice que je suis, très mal à l'aise ! Je fais une pause avant de m'attaquer à "mathématiques du chaos". Je n'ai lu aucun résumé, ce sera la surprise totale ! 😊

Coati raleur


Combien d'entre nous ont déjà mis leurs enfants et petits enfants en garde: ne parle pas aux personnes que tu ne connais pas!
Oui mais quand cet adulte a un prénom, qu'il est d'une apparence ordinaire, d'une honnêteté irréprochable pourvu d'un minois agréable et de maniaqueries aseptisantes, ce n'est plus un inconnu et il pourrait devenir un ami...
Et puis le piège se resserre inéluctablement et le masque tombe.
Alors c'est une descente dans les abimes d'un pédo/toxico sans aucune morale et d'une cruauté aussi insupportable que dégradante que le lecteur va devoir supporter sans ménagement...
Une lecture révoltante et dérangeante à ne pas mettre dans toutes les mains, âmes sensibles s'abstenir!
Les femmes excellent dans ce style d'écriture et j'avoue que j'aimerai comprendre... pourquoi? et comment?
A bon entendeur Loana Hoarau explique moi... peut être l'inexplicable ?


"Je vous fais partager mon avis sur les deux romans que je viens de finir :
Buczko de Loana HOARAU : j'ai adoré le livre. Il n'y a pas de longueur, pas de description gore mais une large place à notre imagination.
On retrouve tout à fait le processus de raisonnement de certains pédophiles d'où je pense un fort travail de recherche en amont de l'écriture.
J'avoue avoir eu envie d'entrer dans le livre pour coller une bonne tarte voire plus à ce Buczko.
Vraiment à lire!"

Gwénaëlle Plusquellec


J'avais promis un retour à Loana Hoarau concernant Buczko que je viens de terminer.
Comment dire... c'est juste Waow ! Une écriture peu commune puisque le narrateur est un pédophile sociopathe, un vrai fléau pour la société. On entre dans ce bouquin avec un dégoût certain pour le personnage de Buczko, puis on essaie de comprendre le mécanisme psychologique de cet être aussi abject, ce qui fait tout l'intérêt de ce livre. Attention, âmes sensibles s'abstenir : c'est voilent, sombre et glauque.
Un IMMENSE MERCI à Loana pour cette pépite !

Pascale Gautheron
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"L'eau était glacée, mais je suis très vite entré dedans. Je sais nager, donc je me suis éloigné de Nell, qui mouillait encore sa nuque au bord de l'eau. Mais il a nagé jusqu'à moi. Alors j'ai regardé sur le côté pour voir si maman et tata Nana ne nous regardaient pas. Elles jetaient seulement de rapides coups d'œil car elles étaient concentrées à beurrer les sandwichs. Nell s'est rapproché complètement de moi, il a lançé un regard en arrière lui aussi pour vérifier si personne ne nous regardait, puis il a plongé ma tête sous l'eau, et il l'a maintenue pendant dix secondes. Je me suis débattu, je griffais, je sentais de l'eau entrer dans mon nez et ma bouche. Je paniquais complètement.
Puis il m'a lâché, et il a dit Rigole. J'étais en totale panique et j'ai dit Quoi ? Il a fait Je veux qu'elles t'entendent rigoler, alors rigole. Ce que j'ai fait. J'ai ri et je les ai vues nous regarder. Puis retourner sur leurs sandwichs. Nell m'a brusquement tenu le bras, sur mon bleu, pour ne pas faire de nouvelles traces, et il a chuchoté T'as dit quoi ? J'ai secoué la tête et j'ai répondu Rien. Alors il m'a replongé la tête sous l'eau, plus longtemps. Puis il m'a ressorti, et j'ai pris une grosse respiration, je toussais, je croyais que j'allais étouffer. Il a encore dit Te fous pas de moi, sale petite merde. T'as dit quoi à cette pute ?! J'ai repris mes esprits, et j'ai répondu Je te jure que j'ai rien dit. Il a fait Elle a pas essayé de te faire parler, peut-être ? J'ai dit Oui, elle voulait que je lui dise comment ça se passe à l'école. Il a dit Tu te fous de moi ? J'ai répondu Non Nell. J'ai entendu que maman lui parlait de mes notes et qu'elle s'inquiétait pour moi. C'est tout. Il a réfléchi, puis il a dit Toute façon, je le saurai si t'as moufté quoi que ce soit sur nous deux. Alors j'ai encore répondu J'ai rien dit. Je te jure que j'ai rien dit.
Il m'a lâché lentement, l'air toujours menaçant, pour que je continue à avoir encore bien peur de lui, et ça marchait. Il a nagé un peu loin de moi, et moi je restais dans mon coin, j'avais envie de chialer tellement j'avais eu peur de mourir. Bien-sûr j'aurais pu aller voir maman et lui dire que mon frère, son propre fils, avait voulu me tuer. Je lui aurais tout raconté, exactement tout, et pas seulement que les coups, si j'avais eu un peu de courage. J'aurais dit à tata Nana qu'elle avait raison de se douter de quelque chose. Alors maman m'aurait pris dans ses bras, et elle aurait dit Mon dieu mon pauvre petit garçon, mon amour, je vais tout raconter à la police, je vais tout leur dire. Mais je savais qu'elle ne ferait rien. Rien du tout. Alors je me suis enlevé ça de la tête et j'ai nagé pendant quelques minutes, je suis retourné près de maman et de Tata Nana pour me sécher. J'ai souri le plus simplement du monde et j'ai fait Vous devriez aller vous baigner. Elle est bonne, ça fait du bien."
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Loana Hoarau
Chronique de Paul Laurendeau pour "SOLEIL À VAZEC"

Dans ce court roman en forme de métaphore sociale, les perceptions sont altérées, les motivations occultées, la vérité distordue et la morale mise en charpie. Michel Butor dans La modification (1957) avait utilisé, pour mieux ceinturer l’expérience de lecture dans l’enceinte restrictive de la narration, le vous en lieu et place du je ou du il. Il y allait donc à coups de vous faites ceci, vous faites cela, il vous arrive ceci, vous entrez par ici, vous sortez par là… et ce, tout le long de son roman. À la fois plus directe et plus évasive, Loana Hoarau domine l’esprit de ce procédé, hérité de Butor et du nouveau roman, en optant pour le tutoiement et le futur simple prospectif. L’effet de déroute référentielle et d’emprisonnement dans la lecture est saisissant.

«Bon. T’es pas si con que ça, on dirait.»

Il t’examinera ensuite faire la salle d’eau entière, lui s’occupera des dernières finitions: fournir les serviettes, des échantillons de shampoing et de dentifrice, un verre en plastique dans son emballage, du papier toilette.

Il te conduira ensuite vers le lit, te scrutera t’appliquer à ta tâche maladroitement, le traversin dépassant de la couche, l’oreiller de travers, le pli sur la couette, le drap à l’envers ou mal aligné. Il secouera la tête en te chuchotant des “Recommence” et défera ton ouvrage trois fois de suite avant que tu ne l’exécutes parfaitement. Passer l’aspirateur te demandera beaucoup d’attention. Le récurage également. Tu partiras un peu dans tous les sens.

Jonas semblera compréhensif et te montrera comment gagner du temps. Il t’apprendra le détourage et à ne pas cogner ton outil contre les meubles, les pieds de lits, le mur. Le nettoyage des vitres à l’américaine, bien plus rapide. Le dépoussiérage du bois en deux coups trois mouvements.

C’est que nous sommes indubitablement dans une situation d’altération perceptuelle, de perte de repères, d’abus corporel et psychologique profond et ce, sans oublier la brutalité du rapport de classe. TU, personnage principal, est un homme que l’on suppose assez jeune, possiblement même un adolescent. Il a été enlevé, ou à tout le moins retiré du monde, par un homme plus mûr, élégant, brutal. C’est un patron tertiaire, arrogant, tyrannique. Il tient quelque choses comme une luxueuse chaîne d’hôtels, des hôtels particuliers… particulièrement particuliers, s’il faut tout dire. Et avec des clients… fort exigeants, s’il faut en rajouter.

TU subit erratiquement sa situation. S’il a un statut dans toute cette histoire c’est le statut d’esclave. Esclave professionnel, esclave comportemental, esclave sexuel. Conséquemment, ici, le temps (notamment le temps de travail mais aussi le temps de narration) ne se calcule plus de la même façon. Le temps du prolo moderne, c’est comme l’eau d’un robinet qui s’ouvre et se ferme par moments fixes, spécifiés contractuellement. Le temps de l’esclave, c’est comme une mare ou un puit d’où l’on pompe à volonté. À cela se trouve directement corrélé le fait que, comme le bœuf ou la mule champêtres (car il y a ici quelque chose de profondément, de viscéralement agricole), l’esclave n’opère pas dans un rapport consenti. Il émet une tension constante de résistance. Il est implicitement rétif, peu coopératif, tant et tant qu’il faut gaspiller une quantité significative d’énergie à le punir, le cerner, le réprimer, le faire s’épuiser pour qu’il se soumette. Le principe fondamental de l’esclavage contemporain, du point de vue du poudré tertiaire qui exploite, est que l’intégralité du temps de travail est disponible comme un tout, une fois l’esclave isolé du monde. On le ponctionne donc, comme une masse, une force, un flux, ayant du temps et de la puissance ad infinitum (jusqu’à extinction). On opère donc ici, froidement, dans un dispositif où il est sereinement assumé qu’on gaspillera massivement une portion significative du temps et de la force de l’esclave. Tout son temps et toute sa force nous appartiennent. Donc, eh bien les jours s’égrènent, comme sans fin, et on presse le citron, tranquillement, sans compter, ni tergiverser. Et ça, l’esclave ne le sait pas vraiment encore, attendu que, modernité oblige, on a quand même bien su le cajoler, le charmer, l’endormir, le séduire.

Car le fait est que TU découvre sa condition et son désespoir à mesure que les choses déclinantes et brutales de son esclavage inexorablement avancent. Ne nous y trompons pas nous-mêmes, ce jeune homme sans ville, sans pays, sans soleil, fourvoyé dans un cauchemar social qu’il ne décode qu’à demi, c’est n’importe qui, un epsilon sociologique cueilli presque au hasard. TU, c’est vous et moi en fait (c’est bien là la fonction narrative et référentielle du tu). Et il avance vers son avenir incertain, douloureux et amoral en tâtonnant et en ne pouvant vraiment jurer de rien (c’est bien là la fonction narrative et référentielle du futur simple prospectif).

Implacable, ce roman est court mais dense, nerveux mais ouateux, cuisant mais brumeux, cruel mais onctueux. Le dérèglement des sens y est permanent. Ça, c’est la faute au verre de lait. Le patron-maitre-tyran en costard et qui sent bon ne paie pas son esclave. Il le nourrit peu, le loge mal, ne le laisse sortir de son immense domaine campagnard que lorsque TU prend l’initiative de s’en évader lui-même, pour une douloureuse et désespérante cavale dans des champs de maïs cruellement et gratuitement hitchcockiens. Mais la totalité de ces privations, de ces sévices lancinants, de ces abus absurdes va complètement se dissoudre dans le verre de lait du soir. Après avoir bu son verre de lait, TU semble ne plus rien sentir de sa terrible et fatale condition carcérale de classe. Il y a indubitablement quelque chose qu’on instille insidieusement dans cet anodin verre de brouillard blanc, dans cette potion engendrant le caractère abrégé, ouateux, brumeux et cruel de NOTRE dérive. Quelque chose… quelque chose… Le rêve? L’espoir? L’amour?

Non, non, non, c’est pas fini, l’esclavage…
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Il y a une issue de secours, au fond du local d’entretien. C’est une chance. Tu te demandes, dans un instant jugé absurde, comment ils ont pu penser à construire une issue de secours au fond d’un local d’entretien. Genre il y a eu une réunion, avec des gens hauts placés, qui se sont dit Tiens, et si on installait une issue de secours dans le local d’entretien. Les gens vont forcément penser à cet endroit-là pour fuir une situation critique. Oui bien sûr. C’est logique. Et tu te dis que ça peut marcher, finalement. Que tu peux passer par là sans souci, même avec ta jambe blessée. Que tu cours assez vite. Tu te dis qu’ils ne penseront jamais au local d’entretien. Qu’on fuit par la porte principale, ou encore par la sortie de secours derrière le comptoir. Pas par un putain de local d’entretien.
Le problème, c’est la petite fille. Elle crie trop. Elle pleure trop. Ça peut alerter les autres. Tu te demandes encore qu’est-ce qui t’a pris de lui prendre la main avant de te sauver. Tu es trop gentil. Tu es trop serviable. Même dans les situations critiques. C’est le regard de sa mère, sans doute. Elle te regardait et elle suppliait. Elle suppliait. Qu’est-ce que tu pouvais faire d’autre ? Lui dire non ? Non madame, je veux sauver mon cul, et votre gamine, là, elle va me faire perdre du temps. En plus, elle pleurniche. Elle va nous faire remarquer. Mais non. Tu es trop gentil. Tu es trop serviable. Même dans les situations critiques.
La petite fille hurle dans ta main. Tu as beau la rassurer, lui dire de ne pas crier, que sa maman va venir elle aussi, rien ne la calme. Tu la tiens fermement par la taille, elle essaie de se libérer. Tu pourrais la libérer, après tout, tu en es pas responsable. Mais sa mère t’a vu, à ses côtés, tu es grand et fort, la vingtaine, et elle a jugé bon de te la foutre dans les bras. Sauvez-la ! En bas, les toilettes ! Sauvez-là ! Tu es trop gentil. Tu es trop serviable. Même dans les situations critiques.
Tu parles doucement, pour que la gamine se calme. Tu lui dis Cries pas. Si tu cries, ils vont t’entendre. Ils vont venir. Tu lui dis Ta mère va venir. Attends un peu. Elle va venir. Comment tu t’appelles ? Bien sûr elle répond pas. Elle hurle dans ta main. Tu sens son souffle tiède et sa bave. Elle hurle et te repousse. Elle hurle. Elle hurle. Tu as envie de faire pareil. Déjà pour la faire taire. Mais tu n’y arrives pas. Alors tu cours jusqu’aux portes des toilettes. Tu lui dis Si tu cries, ils vont nous suivre. Même dehors. Ils sont dehors aussi. S’il te plaît. Tais-toi. Mais elle continue. C’est de plus en plus strident. Ça se comprend. Sa mère lui a dit qu’elle vous suivrait. Mais elle n’a pas suivi. Elle a glissé. Contre le mur. Du sang derrière la tête. Le regard fixé sur la gamine. La gamine l’a vu tomber. Alors elle a crié. Très fort. Mais ils ne vous ont pas vu. Un homme dans la bousculade vous a poussé Vite, descends avec elle. et tu as empoigné la petite fille. Tu t’es réfugié avec elle derrière la porte des toilettes pour handicapé. Mais elle hurle. Et c’est là que tu as vu le local d’entretien à moitié ouvert.
Tu aimerais passer cette porte. Mais la gamine se tortille pour se libérer. Elle te donne des coups de pieds. Elle te griffe et te mord. Qu’est-ce que tu peux bien y faire ? Il n’y a pas d’autres solutions. Tu n’as pas envie de la blesser. Alors tu la lâches. Elle te regarde, étonnée, quelques dixièmes de secondes. Puis elle se recroqueville, passe sous la porte des toilettes et court dans les escaliers que vous avez empruntés quelques secondes avant.
Alors tu murmures à celle qui n’entend déjà plus Reviens ! Non ! Reste là ! Tu vas... Tu jures. Tu pivotes sur le côté. Tu sors des toilettes. Tu regardes les escaliers. Tu réfléchis à ta situation. T’enfuir, ou retourner chercher la petite fille. Retourner la chercher, c’est mourir. C’est jouer aux héros. Tu n’es pas un héros. Toi, tu veux juste rentrer chez toi. Rentrer comme tous les soirs après avoir bu une bière au café du coin avec ton pote Jérôme. Ce soir, vous aviez décidé de préparer vos vacances prochaines. Vous voulez partir en Allemagne. C’est beau, l’Allemagne. Mais ça ne se fera pas. Ça ne se fera jamais. Parce que Jérôme est là-haut, lui, et tu l’as vu tomber.
Tu entends des cris. Tu les entends plus fort. En haut, une porte s’est ouverte. Peut-être la petite fille qui retourne dans la salle. Peut-être eux qui vont descendre. Peut-être eux qui ont décidé de te suivre parce que tu as vu leur visage. Tu as vu leur visage. Tu n’oublieras jamais ces regards froids et neutres.
Il y a des pas qui descendent à toute allure. Tu te paralyses. Tu veux fuir, mais tu ne bouges pas. Comme un animal pris dans les phares d’une voiture. On te bouscule. Ça te réveille d’un coup. C’est un homme qui respire fort. Qui saigne du côté gauche de sa chemise. Qui ne te regarde même pas. Qui entre dans les toilettes et ferme la porte à clé. Tu fonces sur la porte. Tu agites la poignée dans tous les sens. Tu ne dis rien. Tu es agile. Tu montes sur le lavabo et glisses de l’autre côté de la paroi. L’homme est surpris et pousse un cri. Il a du mal à respirer. Tu regardes sa blessure. Il te voit regarder sa blessure. Il regarde sa blessure. Il gémit plus fort en se tenant la hanche. Il sait qu’il va mourir. Il essaie de se relever pour aller vers le local d’entretien. Il a vu la sortie de secours. Il n’y arrive pas. Un large filet de sang le suit. Il dit Pourquoi ? dans un souffle. Il glisse par terre. Il ne bouge plus.
Tu as du mal à respirer. Puis tu entends des hurlements plus forts. Tu les entends, eux. Tu les entends rugir. Tu ne comprends pas ce qu’ils disent. Mais tu les entends rugir. De plus en plus fort. Tu sens qu’ils sont tout près. Que dans trois secondes, ils seront là. Alors tu entres dans le local d’entretien. Tu le refermes derrière toi. Tu vois la signalisation issue de secours. Tu pousses complètement la porte.
Et tu es dehors.
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