Mon père mourut lorsque j'avais six ans et j'arrivai à vingt ans sans savoir comment il faut qu'un homme se comporte à la maison. Jusqu'à l'âge de dix-huit ans je gardais l'habitude de courir à travers champs, convaincu qu'une journée sans baguenaude et sans bêtises est une journée perdue. Ma mère avait essayé de m'élever à la dure, comme l'aurait fait un homme, et avait obtenu ce résultat qu'entre nous il n'y avait ni baisers ni mots superflus, et que j'ignorais ce qu'était une famille. Tant que je fus faible et dépendit d'elle, elle m'inspira surtout de la peur -une peur qui n'excluait pas les fugues et les retours- et quand je fus adulte je me mis à la traiter avec agacement et impatience comme une grand-mère."
C'est ici la clef du roman[Le bel été] et un motif qui aura de longues répercussions chez Pavese:
"On ne se tue pas par amour d'une femme. On se tue parce qu'un amour, n'importe quel amour, nous révèle dans notre nudité, misère, fragilité désarmée, néant."
Deux lettres adressées à Fernanda préfigurent les essais théoriques de Vacances d'août. C'est le passé qui remonte à la surface dans la crue du cœur:
"Je me mets donc , ce matin, en chemin par les routes de mon enfance, et je regarde avec précaution les grandes collines- toutes, celle énorme et fertile comme une grande mamelle, celle accidentée et abrupte où l'on faisait des grands feux, celles qui n'en finissent pas et tombent à pic comme si là-dessous il y avait la mer."
Ses échecs sentimentaux, quelles qu'en aient pu être les causes, physiologiques ou psychologiques, disent aussi combien il est difficile pour chacun de persévérer dans la tendresse et la loyauté, et par-delà l'ardeur de la passion, le rapport premier, originel avec l'autre. Le fait de n'avoir pas pris femme, de n'avoir pas connu de véritable amour, est comme l'aveu d'une solitude prescrite par le destin et coupable à la fois.
"Toujours comme au premier jour, c'est la piqûre de la solitude qui me réveille le matin. Te décrire mes angoisses est impossible. Ma peine n'est pas celle qui a été prononcée, c'est toi; et ceux qui nous ont éloigné l'un de l'autre le savaient bien. Je n'écris pas de mots tendres, nous savons bien pourquoi; mais le fait est que mon dernier souvenir humain, c'est ce 13 mai. (le jour de notre dernière rencontre)."
"La pensée m'emplit de terreur, qu'à moi aussi/ il me faudra quitter cette terre/où même les douleurs me sont chères/car j'espère les dire par mon art."