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Citation de hcdahlem


(Les premières pages du livre)
« 1. « Je crois aux forces de l’esprit… »
L’épisode eut lieu il y a quelques années au château de ma grand-mère. Une jeune fille engagée pour l’été était venue trouver mon père. Le plus souvent, elle tapait à sa porte parce qu’elle avait surpris une chauve-souris dans une chambre et avait besoin de lui pour s’en débarrasser. Mon père s’en chargeait d’un coup de fouet de chasse bien ajusté. Dans ce noble art, c’était un champion. Cette fois-ci, la situation était plus préoccupante : « Monsieur le comte, pardon de vous déranger… Je suis très embêtée d’avoir à vous annoncer ça, mais je ne veux plus faire le ménage au dernier étage. J’ai trop peur. » Allons bon ! Peur de quoi ? Embarrassée, la jeune fille avait poursuivi : « Il y a des bruits étranges en haut, quelque chose de bizarre… Ça va vous paraître fou, tant pis : je pense que la maison est hantée. » D’ordinaire flegmatique derrière sa cravate, qu’il n’enlevait que pour dormir, mon père en avait bondi de son fauteuil : « Des fantômes ? Formidable ! Extra ! Si vous en croisez à nouveau, prévenez-moi, je serai ravi de les rencontrer : ils ne peuvent être que mes ancêtres ! »
Dans la galerie de portraits, à elle seule une histoire de la mode à travers les âges, certains anciens ne demandaient qu’à sortir du mur pour se dégourdir les jambes. Communiquer avec ses aïeux, faire tourner les tables de la mémoire : ainsi avais-je été élevé. Au cours des repas, mon père nous expliquait comment nous descendions des rois de France – leur sang coulait dans nos veines. Il nous arrivait de franchir la Manche. J’avais été frappé d’apprendre que je descendais de Charles Ier, le roi d’Angleterre qui fut décapité en 1649, et donc de sa grand-mère, Marie Stuart, raccourcie pour sa part en 1587. Petit, déjà, ces têtes coupées me montaient au cerveau.

À la naissance de mes dernières sœurs, des jumelles, ma mère n’arrivait plus à s’occuper de ses cinq enfants. Elle avait demandé à mon père de nous sortir, mon frère et moi. Nous emmenait-il au stade ? Il n’aimait pas le sport. Je me souviens de nos fous rires devant les glaces déformantes du Jardin d’acclimatation, de promenades dans la forêt de Rambouillet, d’une visite des Grandes Écuries du château de Chantilly. J’avais cinq ans. Savais-je que ces écuries avaient été construites au XXVIIIe siècle par Louis-Henri de Bourbon, septième prince de Condé ? Ce Louis-Henri croyait à la métempsycose et aimait les chevaux à un point tel qu’il pensait se réincarner en canasson. Cette branche illustre des Bourbons s’était éteinte deux générations après lui, en 1830, le jour où son petit-fils, lui aussi prénommé Louis-Henri, neuvième prince de Condé et plus grande fortune de France, avait été retrouvé pendu à l’espagnolette d’une fenêtre de sa chambre. Sur ces explications, nous remontions dans la voiture. Mon père réajustait son nœud de cravate en se regardant dans le rétroviseur intérieur. « Tu portes décidément un très joli prénom », me disait-il sur le chemin du retour.
Quand j’avais atteint l’âge de six ou sept ans, il m’avait estimé assez mûr pour retourner au berceau – c’est-à-dire découvrir le château de La Rochefoucauld, tenu par une de nos tantes. Une fois encore, nous étions entre hommes, assis mon frère et moi sur la banquette arrière, direction la Charente. Après un tour de la maison millénaire, nous avions assisté depuis les gradins au son et lumière qui se donnait le soir. Il y avait un vrai tournoi. Puis un acteur jouait le rôle du roi Charles VII. À voix basse, mon père assurait les commentaires : « Charles VII était notre invité au château quand il a appris la fin de la guerre de Cent Ans, en 1453. » Je n’avais bien sûr aucune idée de ce qu’était la guerre de Cent Ans, mais restais sidéré par cet étrange spectacle, l’histoire mise à la portée d’un enfant, un Puy du Fou personnalisé. Le problème, c’est que, avec mon goût pour les distorsions drolatiques, les différents tableaux du son et lumière se mêlaient dans mon esprit aux glaces déformantes du Jardin d’acclimatation – je peinais à y voir autre chose que de la poudre aux yeux.
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