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Citation de hcdahlem


Louis XVI revient parmi les siens
Ce jour-là, Alexandre, mon cousin issu de germain, prenait femme. Le futur duc d’Estissac vivait à Zurich depuis quinze ans, et nous ne nous voyions presque plus, mais nous étions liés à vie par un arrière-pays qui, avec la fuite des années, nous rendait rêveurs : les étés de notre enfance passés dans le château peuplé de gentils fantômes que se partageaient nos grands-mères, sœurs jumelles ayant épousé deux frères – un temps que les moins de cent ans ne peuvent pas connaître.
Les frangines assuraient la régence dans ce coin de Franche-Comté ; maire de la commune depuis 1977, mon père attendait son tour sans piaffer. Quand j’étais enfant et qu’après cinq heures de voiture j’apercevais enfin, entre les sapins, un petit pan de mur blanc, c’était la délivrance, le début des grandes vacances. Des fenêtres du château, on ne voyait aucune trace de pollution urbaine – juste une étendue infinie de forêts, de fermes et de prés aux mille nuances de vert… Les jours de grand beau temps, le mont Blanc apparaissait, majestueux, au fond d’un ciel rose. Je passais là-bas trois semaines chaque été avec mes sœurs, mon frère Jean, nos cousins Alexandre et Charles-Henri et les nombreuses vaches du coin, élégantes montbéliardes qui venaient brouter jusqu’aux abords de la maison. Elles étaient tolérées ; les touristes, non. Inutile de faire la police : les hivers, rudes, écartaient les gêneurs – nous étions à une quarantaine de kilomètres de Mouthe, lieu le plus froid de France. En juillet, nous n’étions pas plus dérangés. Qui, depuis Gustave Courbet, a compris la beauté de ces paysages ? Pas besoin d’aller faire un tour dans le Montana quand on a couru en culotte courte dans une telle réserve naturelle. Du Saut du Doubs à la croix de Reugney et de la source de la Loue au point de vue du Moine, tout semblait protégé, à l’abri des ravages du progrès. C’était l’endroit où se désintoxiquer de la vie citadine. Des traitements de choc y étaient prodigués. À la table des adultes, où la cravate était de rigueur, le vin d’Arbois déliait les langues et remontait les malades. Pasteur n’a-t-il pas dit que cette boisson était le meilleur remède connu ? Nous, les enfants, étions soignés par les plats du terroir de Mme Bichet, robuste cuisinière qui eut la chance de mourir avant d’avoir entendu parler de recettes au quinoa et d’allergies au gluten. Après ces solides repas, c’était parti pour de longues soirées de ping-pong ou de jeux de société dans ce dernier étage aux chauves-souris qui faisait peur aux jeunes filles. Avec les cousins, nous parlions parfois de ce que nous ferions de nos vies vingt ans après, et puis plus tard, quand Alexandre serait duc – perspective qui nous faisait beaucoup rire. L’âge adulte nous paraissait loin.
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