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Citation de Charybde2


Quand j’étais enfant je trouvais tout normal. Ma mère m’enfermait régulièrement dans la cave, dans le noir complet. Je trouvais ça normal.
La cave était située sur le palier. Chaque appartement disposait de ce petit réduit où l’on pouvait caser tout ce qui encombrait, les balais, le seau, la serpillère, et moi. Au début des années soixante j’étais une petite chose à peine débarquée, mais j’étais tellement furieux que je donnais des coups de pied dans la porte pendant des heures, ou ce qui me semblait des heures, hurlant et trépignant et crachant des larmes de rage. Puis après j’avais peur, je m’asseyais dans un coin, silencieux comme les ombres, guettant son pas à l’extérieur. Peut-être qu’elle allait me laisser là pour toujours ? On ne sait jamais avec les femmes.
Quand je dis que je trouvais ça normal, c’est tout simplement que je n’avais aucun moyen de comparer. Je ne savais pas comment ça se passait pour les autres enfants. On ne parlait pas de ça, à l’école. Car j’allais à l’école, depuis quelque temps. Un jour j’étais sorti de la cour très fier et j’avais annoncé : « J’ai un copain il s’appelle idiot. »
Pour une raison aujourd’hui obscure, je considérais ça comme un titre de gloire. Ça et le fait qu’il savait siffler. Il savait siffler, je ne blague pas. Pourtant lui aussi était haut comme un champignon. Ma mère se livra à une rapide enquête, et il s’avéra que mon copain s’appelait en fait Irridio, comme son père qui était italien. Ce fut une première défaite contre la réalité.
Après, j’ai étouffé. Les parois du cou se sont resserrées au milieu de la nuit, une nuit chaude et sèche. Étouffer, j’avais l’habitude. J’étais arrivé sur terre avec une double circulaire du cordon. La double circulaire du cordon laisse des traces : le désir de vivre, d’aller vers la lumière, entraîne la suffocation et la mort possible. Plus on va vers l’air libre, plus on meurt. Les enfants sont décidément une cause de souci.
On étouffait de toute façon, je suppose. Les grands ensembles, comme on les appelait à l’époque, étaient une nouveauté. Enfin, c’est à la télé qu’on parlait de grands ensembles. Maman disait : « la maison », mais la plupart des gens parlaient de cages à lapins. Je croyais que ça avait quelque chose à voir avec le fait que j’étais son petit lapin. Mais ce n’était pas la vraie raison. Avant, personne n’avait pensé à entasser autant d’êtres humains dans des espaces aussi étriqués, sauf peut-être quand on les mettait en prison. Si par exemple ils avaient tué leur femme, ou volé l’argent des impôts.
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