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Citation de Charybde2


L’infirmière qui fut chargée de m’injecter régulièrement de la pénicilline, le mardi après l’école je crois, était d’origine italienne, comme Irridio, mon copain qui savait siffler. Mme Buzzi. C’était une femme courte et large, une sorte de cube qui éjectait ma mère de la pièce avec autorité. Les injections de pénicilline sont désagréables, à cause de l’épaisseur du liquide. Mme Buzzi, qui avait de grosses mains d’ours et détestait les enfants, faisait son possible pour que ce soit douloureux. Ça faisait un mal de chien, je n’ai pas peur de le dire.
Ensuite, se produisait le miracle. Mme Buzzi disparaissait avec sa mallette, et ma mère, une jeune femme toute fraîche, presque une enfant, apparaissait à la porte de ma chambre avec la petite voiture qu’elle m’avait promise.
– T’y es déjà allée ?
– Oui.
– Et t’es déjà revenue ?
Elle éclatait de rire devant ma bouille interdite, mes larmes oubliées qui séchaient déjà.
– Oui.
Une Jaguar type E. Je me souviens encore du jour de la Jaguar type E (elle ne choisissait pas toujours aussi bien).
– Une Jaguar, une Jaguar rouge !
Voilà probablement ce qu’éprouvent les hommes qui s’offrent enfin le véhicule de leurs rêves. Mais bien sûr, ce ne sera plus jamais un événement d’une telle ampleur. La dame de vos pensées vous offrant une Jaguar type E alors que vous venez de traverser une terrible épreuve. Ce ne sera jamais aussi intense.
Ma stupéfaction, bien sûr, ajoutait au plaisir. Car je savais très bien d’où venait la petite voiture. C’était une Matchbox, et les Matchbox on les trouvait uniquement à la maison de la presse, sur la colline en face quand ça remonte après l’école. Autant dire qu’elle avait volé jusque là, je veux dire volé comme une sorcière, avec des ailes, un balai, quelque chose de pas normal. Personne au monde ne pouvait faire l’aller-retour à la maison de la presse, à huit cents mètres de là, sans parler de descendre et remonter les dix étages, en quelques secondes à peine.
Je n’ai jamais compris qu’elle avait acheté ma voiture le matin même, pendant que j’étais à l’école. Je n’ai jamais imaginé qu’elle pouvait anticiper cette séance de torture avec l’ignoble Mme Buzzi, quand j’en étais incapable. Pour donner une idée de ma naïveté à l’époque, la vision de ma mère se téléportant comme ils font dans Star Trek, ou traversant huit cents mètres de ciel le plus naturellement du monde, façon Silver Surfer, ça me semblait moins dingue, plus acceptable, que le fait qu’elle savait très bien que Mme Buzzi allait se pointer avec sa mallette et qu’elle n’avait rien fait pour empêcher ça, ou pour assurer notre fuite. Enfin, si, j’ai fini par comprendre. Mais il était tard, il était vraiment très tard, beaucoup plus tard dans ma vie et trop tard pour m’en remettre : ma mère était une magicienne.
Par ailleurs, elle savait que Zorro et Don Diego de la Vega étaient une seule et même personne. Comment elle avait compris ça, mystère. J’étais très sceptique, au début. Je fronçais les sourcils, sans quitter la télé des yeux.
– Mais ça peut pas être lui, Zorro, puisqu’il parle de Zorro.
– Oui, il parle de Zorro (elle avait toujours ce sourire enjôleur et sans réplique, je voyais bien qu’elle en savait long), mais je crois quand même que c’est lui, Zorro.
Évidemment, la suite devait lui donner raison. Zorro et Don Diego de la Vega étaient bien une seule et même personne. Elle pouvait voir des choses qui échappaient au commun des mortels. Qui échappaient au sergent Garcia. Qui m’échappaient à moi.
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